• La naissance des Gardiens chapitre IV - Les Oreilles (Deuxième partie)

     

    Une fois arrivée dans sa chambre, la vieille femme s’effondra sur son lit, en proie à un désarroi grandissant. Cette affaire de journalistes l’avait décidément convaincue de la stupidité des habitants de la maison de retraite. Il fallait à tout prix qu’elle s’échappe de cet asile de fous. Elle commença à réfléchir à toute vitesse : la dernière fois qu’elle avait essayé de partir en catimini remontait à cinq semaines. Seulement voilà, il était évident que cela serait moins facile. Elle avait été transférée dans une chambre située au quatrième étage ; impossible donc de sortir par la fenêtre comme elle l’avait déjà fait. Quant à traverser la clôture du parc, cela était exclu également, puisqu’à présent les grillages étaient en fer forgé, dont la résistance était à toute épreuve. Mais alors, comment ?

     

    Elisabeth consulta rapidement l’horloge murale qui pendait tristement au mur : dix heures moins vingt. Elle avait encore du temps pour élaborer une stratégie digne de ce nom. Soudain, alors qu’elle commençait à tester la résistance du drap afin d’en faire une corde pour descendre en rappel par la fenêtre, une infirmière qu’elle ne connaissait pas – une nouvelle recrue sans doute – fit irruption dans la pièce, un immense sourire illuminant son visage. La vieille femme lâcha précipitamment le tissu et demanda, le cœur battant à tout rompre :

     

    -    Que se passe-t-il ?

     

    -    Madame Durand, l’hôtesse de l’accueil vient de m’informer que trois jeunes gens souhaitent vous rendre visite ! Ils ont l’air adorable… Je vous envie d’avoir des petits-enfants aussi prévenants !

     

    Tétanisée, Elisabeth ne répondit rien. Trois jeunes gens ? Petits-enfants ? Cette infirmière semblait ne pas être très au fait de sa situation familiale. Elle n’avait pas de petits-enfants. Du moins, pas encore – la peste qui accaparait son fils lui pondrait sans doute bientôt quelques enfants pour l’obliger à l’épouser. Mais une question demeurait : qui étaient donc ces ‘‘trois jeunes gens’’ qui disaient vouloir lui rendre visite ? Elle n’avait absolument aucune idée de leur identité. D’autant plus que personne n’avait demandé à la voir depuis des lustres.

     

    Néanmoins, elle s’exclama d’un air faussement ravi : « Oh, mais voilà qui est fantastique ! Cela faisait longtemps que je ne les avais pas vus. Où sont-ils ? » Ces paroles n’étaient destinées qu’à duper l’infirmière ; cela lui permettrait peut-être de faire diversion. L’infirmière répondit, toujours rayonnante : « Ils vous attendent dans le parc. » Elisabeth la remercia puis descendit les marches quatre à quatre pour sortir du bâtiment. Comme l’avait dit la jeune femme, trois adolescents semblaient patienter tranquillement sur un banc au milieu du jardin.

     

    Leur apparence et leur attitude la mit tout de suite en garde. Ils ne sont pas normaux, songea-t-elle aussitôt en elle-même en scrutant leurs visages blêmes. Il y avait deux garçons et une fille : le premier avait les épaules voûtées et les yeux hagards comme s’il venait d’apercevoir le diable ; le deuxième, plus grand, avait les mains couvertes de bandages ensanglantés. Quant à la fille, elle portait dans le dos une sorte de sac qui, à en juger par sa forme longiligne, devait contenir une flûte ou un instrument du même type. Sa chevelure noire était éclairée par une mèche bleue du plus bel effet ; son regard exprimait une amertume extraordinaire.

     

    Mais qui sont ces trois hurluberlus ? se demanda la vieille femme en fronçant les sourcils. Le premier garçon, la voyant approcher, se leva et tendit une main hésitante : « Bonjour, chère Elisabeth ! Nous sommes heureux de pouvoir enfin vous rencontrer. » Elle s’arrêta. « Qui êtes-vous ? Comment pouvez-vous connaître mon nom ? » La jeune fille se leva à son tour et déclara : « Ne vous inquiétez pas, Elisabeth. Nous ne vous voulons aucun mal. Laissez-nous simplement vous expliquer ce qui nous amène ici, s’il vous plaît. »

     

    Des questions toujours plus nombreuses venaient se bousculer sur les lèvres de la vieille femme, mais elle choisit de laisser parler les étranges jeunes gens qu’elle venait de rencontrer. Elle s’assit sur le banc à côté d’eux : « Je suis toute ouïe. » Le premier garçon ferma les yeux et inspira un grand coup, puis il commença : « Surtout, ne m’interrompez pas, même si ce que je vais vous raconter vous paraît complètement aberrant. C’est extrêmement difficile pour nous tous d’en parler, donc je vous demanderai d’être attentive. »

     

    Elisabeth fit un léger signe de la tête pour l’inviter à parler. Quel que soit le sujet qu’il doit aborder, ce sera moins ennuyeux que ma vie dans cette maudite maison de retraite, pensa-t-elle. Il eut un sourire nerveux, et reprit : « Je m’appelle Guillaume, et voilà Rachel et Maxime. Jusqu’à un mois, nous ne nous étions jamais rencontrés. J’ai été le premier à… » Il s’interrompit, le souffle court ; la fille dénommée Rachel lui tapota l’épaule pour l’encourager. Il continua après un moment : « Je ne vais pas y aller par quatre chemins : nous avons été appelés par une entité, la Perle, qui nous a confié à chacun trois pouvoirs distincts. »

     

    Devant l’incrédulité d’Elisabeth, il s’empressa d’ajouter : « Elle est avec nous en ce moment, mais pas physiquement. Elle peut communiquer avec nous par la pensée. » Il la prit soudain par la main ; après quelques secondes, une voix résonna dans la tête de la vieille femme, qui sursauta : « Bonjour Elisabeth. Veuillez pardonner la brutalité de mes trois envoyés, mais ils ne sont pas encore bien habitués à ma présence. » Cette fois-ci, elle ne put s’empêcher de pousser un faible ‘‘oh !’’ de stupeur. Cela ne ressemblait ni à un tour de magie, ni même à une hallucination ; la voix était bien trop réelle…

     


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