• Et voilà, c'est la fin de la nouvelle Le Saxophoniste ! J'espère que ça vous a plu ! 

    Dès la rentrée, je commencerai une autre nouvelle~

     

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    Jim le regarda droit dans les yeux et déclara : « Je le connais depuis bien plus longtemps que toi. Depuis ma naissance en fait. » Devant l’incompréhension de Peter, il ajouta : « Je suis son frère. » Le jeune homme, interloqué, resta sans voix devant cette révélation. Il balbutia après un moment : « Mais… mais Blake ne m’a jamais dit qu’il avait un frère ! » Jim eut un sourire amer : « Ça ne m’étonne pas. On ne s’est pas vus depuis des lustres. Il préfère sans doute ne pas en parler. » La curiosité piquée au vif, Peter interrogea : « Pourquoi avez-vous cessé de vous voir ? » Jim ne répondit pas. Après un long silence, il finit par murmurer : « Moi non plus, je préfère ne pas en parler. »

     

    Tout à coup il leva les yeux vers la Manhattan Skyline. Les buildings se découpaient en ombres chinoises dans le ciel matinal d’un rose orangé, presque transparent. Le jour commençait à se lever. Jim déclara d’une voix ferme qui laissait transparaître un soupçon d’inquiétude : « Dépêche-toi de partir. » Peter ne bougea pas d’un poil et répliqua : « Ça va, je ne suis pas pressé, il ne doit être que quatre ou cinq heures du matin. On ne m’attend pas au boulot avant sept heures… » Mais Jim l’interrompit sèchement : « Je m’en fiche de tes horaires de travail, je te dis juste de te tirer d’ici, tout de suite ! »

     

    Peter se leva lentement. Son cœur battait douloureusement dans sa poitrine, sans qu’il sache la raison de son malaise. Il bredouilla : « Je suis désolé, je n’aurais pas dû parler de Blake… ni poser des questions sur ce qui ne me regarde pas. Mais ce n’est pas la peine de vous énerver comme ça, je comprends tout à fait… » Jim l’agrippa violemment par les épaules et hurla : « Non, tu ne comprends pas… ! » Sa voix s’étrangla soudain. Son regard descendit sur son bras droit. Sa main était en train de virer au gris et de s’effriter, comme si elle était faite de cendres.

     

    Peter poussa un cri horrifié et profita de l’instant d’inattention de Jim pour s’éloigner de lui. Il hurla à son tour, complètement paniqué : « Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? » Jim jeta un coup d’œil à son moignon, qui continuait à s’évaporer progressivement. Il commenta d’un ton neutre : « Je ne peux pas survivre à la lumière du jour. Si le moindre rayon de soleil touche ma peau, je me transforme en poussière. »

     

    Le jeune homme recula encore d’un pas, ahuri par ce que venait d’annoncer son interlocuteur. Comment pouvait-il dire cela si tranquillement ? Se rappelant vaguement un film de série Z traitant de ce sujet, il articula faiblement : « Vous… vous êtes un vampire ? » Jim, l’air très sérieux, répliqua : « Je suppose que le terme ‘‘fantôme’’ serait plus juste. » A présent, son bras et la moitié de son torse avaient disparu, mais il ne semblait pas particulièrement souffrir. Peter hésitait entre s’enfuir à toutes jambes et observer cette scène extraordinaire qui, au fond, devait sans doute être une hallucination. Il ne risquait rien d’un être sorti de son imagination.

     

    Il demanda, le cœur battant à tout rompre : « De quoi êtes-vous mort ? » Jim tourna la tête de côté comme pour éluder la question. Au lieu de répondre, il déclara, la voix ne trahissant aucune émotion : « Je suis content que Blake aille bien. Il faudrait juste qu’il songe à se tourner vers le futur plutôt que de rester enfermé dans le passé… » Il eut un sourire énigmatique et ajouta : « Ça m’a plu de discuter avec toi, petit. Prends soin de mon saxo. » Peter n’eut pas le temps de l’interroger davantage : Jim s’était entièrement volatilisé. Seul l’instrument à l’éclat cuivré, toujours à sa place sur le banc, avait échappé à cet incident surnaturel.

     

    ***

     

    New York Times, 23 février – Fait divers : Un affrontement entre police et narcotrafiquants tourne à la fusillade.

     

    « Hier soir vers dix-huit heures, une fusillade impliquant la police et un groupe de cinq narcotrafiquants a eu lieu dans le borough de Brooklyn, au niveau de Columbia Street. L’affrontement a été extrêmement violent et s’est soldé par la mort des cinq malfrats, qui ont jusqu’au bout refusé de se rendre. La fusillade a également fait une victime collatérale : le jeune J. Campbell, âgé de seulement dix-neuf ans, a succombé à ses blessures cette nuit. Alors qu’il passait par là, il a soudain été pris dans l’échange de coups de feu et a été fauché par une rafale de balles qui provenaient du côté policier. Les forces de l’ordre ont adressé leurs plus sincères condoléances à la famille ce matin à dix heures et ont fait part de leur volonté de combattre les dealers qui menaçaient la sécurité des citoyens. Mais lors d’un entretien, la mère du jeune J. Campbell a amèrement remarqué : ‘‘Ces belles paroles ne ramèneront pas mon fils. Comment annoncer à son petit frère B. qu’il ne le reverra plus jamais ?’’ »

     

    Peter détourna les yeux de l’article de journal datant de deux ans, qu’il avait dégoté sur Internet après de fastidieuses recherches, pour observer le saxophone abandonné par Jim. Il l’avait installé sur une large étagère dans son studio ; l’instrument avait toujours la même teinte cuivrée un peu terne, le même aspect vieillot.

     

    Deux semaines avaient passé depuis sa rencontre avec le… avec le ‘‘fantôme’’ du frère de Blake. Chaque jour – ou plutôt, chaque nuit –, il était venu sur les quais dans l’intention de lui rendre son saxophone. Mais il ne l’avait jamais revu. Et il commençait à douter de le revoir un jour.

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    Suite et fin la semaine prochaine !

     

     


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    Soudain, à l’instant même où Peter prenait cette sage décision, un bruit de pas le fit sursauter. Quelqu’un, ici, à une heure pareille ? Son cœur battit la chamade comme s’il cherchait à s’évader de la prison de sa cage thoracique. Peut-être que Blake était revenu pour passer ses nerfs sur lui une fois de plus, ou pire, pour l’achever… Non, c’était très peu probable.

     

    Les pas se rapprochaient. Peter se leva avec un gémissement et se précipita vers la barrière qui séparait les docks du chantier. Il s’empara d’une petite poutrelle en fer, la soupesa et imagina le bruit qu’elle ferait sur le crâne de son adversaire présumé, puis se planta au milieu de l’allée. Le jeune homme cria de toutes ses forces : « Qui que vous soyez, sachez que je ne me laisserai pas faire ! » Cependant Peter regretta aussitôt sa provocation : il était loin d’être au sommet de sa forme et il était peu plausible qu’il parvienne à faire le poids face à Blake – si c’était bien lui – ou même face à un de ses sbires.

     

    Les pas résonnaient de plus en plus fort sur l’asphalte, mais aucune silhouette ne se détachait dans son champ de vision. Pourtant, même avec cette obscurité relative, il aurait dû être capable de distinguer quelque chose… Le jeune homme déglutit péniblement et demanda d’une voix forte : « Qui êtes-vous ? » L’inconnu invisible se rapprochait mais ne daignait pas répondre. Peter ne le voyait toujours pas ; il maudit la nuit qui l’empêchait d’en avoir le cœur net. Cette fois-ci, ignorant la douleur de plus en plus intense qui lui lacérait les entrailles, il hurla : « Mais qui êtes-vous, bon sang ! Répondez-moi ! »

     

    Silence. Peter commençait à être sérieusement paniqué ; il serra la barre de fer si fort que les jointures de ses phalanges blanchirent. Mais soudain, alors qu’il se préparait à une attaque imminente, une musique aux sonorités familières lui parvint : il s’agissait indubitablement d’un saxophone. Il avait eu l’occasion d’écouter beaucoup de jazz quand il était enfant. Pourtant le jeune homme n’eut pas le temps de s’interroger davantage sur la présence insolite de cet instrument en plein milieu de la nuit, surtout sur les quais : la douleur reprit tout à coup ses droits, le faisant plonger dans les brumes de l’inconscience.

     

    ***

     

    Lorsque Peter s’éveilla, il faisait toujours nuit. Il était également toujours dans les docks, mais allongé sur un banc. Quand il tenta de se redresser, une voix l’arrêta aussitôt : « Si j’étais toi, je ne ferais pas ça. » Peter tourna la tête et découvrit un jeune homme, assis sur le banc d’en face, qui l’observait d’un air tranquille. La lumière blafarde des réverbères éclairait légèrement son visage d’une pâleur cadavérique ; il arborait des dreadlocks qui lui descendaient jusqu’aux omoplates. Quand il respirait, une buée blanche se formait dans l’air pour disparaître aussitôt. Cela était étrange, car on était en juin et il ne faisait pas particulièrement froid. Un saxophone à l’éclat un peu terne reposait sur ses genoux.

     

    Peter fit naturellement le rapprochement avec l’étrange musique qu’il avait entendue avant de s’évanouir et murmura : « Qui… qui êtes-vous ? » Son interlocuteur répondit sans ciller : « On m’appelle Jim. » Sa voix était grave et rauque ; on aurait dit qu’il n’avait pas parlé depuis une éternité. Un silence pesant suivit cette courte phrase. Le jeune homme reprit : « Je… je suis Peter. Désolé pour tout à l’heure, je vous… prenais pour quelqu’un d’autre. » Celui qui disait s’appeler Jim eut un rire sans joie : « Tu pensais que j’étais un de ceux qui t’ont tabassé, je suppose ? » Peter acquiesça lentement sans donner plus de détails ; il ne désirait pas s’attarder sur cet épisode peu glorieux. Jim continua : « Tu es vraiment dans un sale état, je suis presque étonné de voir qu’avec de telles blessures tu sois encore conscient. »

     

    Peter répliqua : « A une époque j’aurais pu leur faire face sans problème ! Je les aurais même écrasés sans le moindre effort ! » Il regretta aussitôt de s’être emporté : il ressentit une violente douleur au niveau de sa côte fêlée. Jim reprit du même ton paisible, comme s’il n’avait pas entendu ce que le jeune homme venait de dire : « Pas la peine de jouer les durs. A un contre cinq, tu n’aurais jamais pu les battre, même au meilleur de ta forme. » Puis il ajouta après une courte pause : « Surtout que Blake ne se serait jamais laissé battre par quelqu’un d’aussi maigrichon… » Vexé, Peter s’écria : « De quel droit osez-vous… ! » A cet instant, son amour-propre blessé lui faisait  presque plus mal que ses contusions. Mais il s’interrompit brusquement, prenant conscience d’un détail intrigant. Il demanda, soudain soupçonneux : « Comment pouvez-vous connaître Blake ? »

     


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    Peter ouvrit soudain les yeux, le corps engourdi. Il avait la joue contre une surface rugueuse et dure, qu’il identifia comme étant le sol. Où était-il ? Que faisait-il là ? Le souvenir du visage menaçant de Blake réveilla en lui la douleur qui l’avait anesthésié et qui l’avait fait s’évanouir. Il tenta de se relever mais une côte fêlée lui arracha un gémissement.

     

    Il se trouvait là où les caïds l’avaient laissé, c’est-à-dire au beau milieu des anciens docks industriels de Brooklyn. Au loin, on pouvait voir les gratte-ciels de la Manhattan Skyline qui se découpaient dans l’obscurité. Il faisait nuit noire ; il devait être deux ou trois heures du matin. Les quais étaient à peine éclairés par quelques lampadaires. Peter essaya une nouvelle fois de se redresser. Il y parvint cette fois-ci, mais au prix d’un immense effort. La tête lui tournait et il avait le cœur au bord des lèvres.

     

    Le jeune homme marmonna comme pour lui-même : « Quelle idée de traîner dans le coin à une heure pareille, aussi… J’aurais dû me douter qu’ils étaient encore sur les docks ! » Puis il poussa un long soupir amer. Dire que Blake avait été son ami, autrefois… Du temps où il était encore un voyou, jamais il n’aurait osé le frapper. Mais apparemment cette époque était révolue.

     

    Un peu moins d’un an plus tôt, Peter avait été arrêté pour vandalisme, alors qu’il faisait encore partie du gang des Colosses de Brooklyn, tout comme Blake, qui en était le leader. Seulement, il n’avait pas réussi à s’enfuir à temps, contrairement à son compagnon. Son avocat commis d’office lui avait épargné la prison car il était encore mineur – il n’avait que dix-sept ans – mais on l’avait condamné à dix-huit mois de travaux d’intérêt général. Un mois auparavant, on lui avait attribué une tâche qui consistait à aider les ouvriers sur le chantier des anciens docks industriels de Brooklyn, que la ville de New York avait décidé de reconvertir en parc. Ce que les autorités ne savaient pas, c’était que ces docks abandonnés constituaient le « territoire » des Colosses de Brooklyn, et que les déloger de là ne serait pas une mince affaire.

     

    Bien sûr, Peter n’avait pas eu d’autre choix que d’accepter ce travail, même s’il savait qu’un jour ou l’autre il croiserait de nouveau la route de Blake et des Colosses de Brooklyn. Et ce jour avait fini par venir, plus tôt qu’il ne l’aurait cru d’ailleurs. La veille au soir, alors qu’il se préparait à rentrer chez lui – un vieux studio minable au dernier étage d’un immeuble délabré –, il était tombé sur Blake et quelques-uns de ses sbires. Le caïd avait d’abord été surpris de le revoir, mais la situation avait vite dégénéré. « Tu n’es qu’un raté, même pas fichu d’échapper à une arrestation ! » « Espèce de traître, après avoir léché les bottes des juges pour ne pas aller en prison, voilà que tu reviens pour nous voler notre territoire, toi et tes stupides ouvriers ! » Bref, les reproches avaient fusé et Blake, après lui avoir craché au visage, en était venu aux mains. Puis c’était le gang tout entier qui l’avait passé à tabac.

     

    Peter cligna des yeux pour tenter de rester conscient, puis rassembla ce qui lui restait de force et commença à marcher à travers les docks en direction de son studio. Mais la douleur lancinante qui transperçait la moindre cellule de son corps l’empêcha de parcourir plus de quelques mètres ; ses jambes flageolantes le lâchèrent et il s’écroula de tout son long sur le bitume. Peter éclata soudain en sanglots, réalisant à quel point il était impuissant. D’un geste brusque il essuya les larmes de frustration et de souffrance qui coulaient sur ses joues meurtries et se releva péniblement. Avisant un banc, il s’y assit lourdement et décida de reposer quelques minutes avant de repartir. Après tout, il était évident qu’il n’avait pas l’énergie suffisante pour rentrer chez lui ; mieux valait qu’il reprenne des forces avant de se lancer dans le voyage de retour. Son studio était situé à l’autre bout de Brooklyn et il n’y avait plus de métro à cette heure-ci.

     


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