• Le Saxophoniste - Deuxième partie

     

    Soudain, à l’instant même où Peter prenait cette sage décision, un bruit de pas le fit sursauter. Quelqu’un, ici, à une heure pareille ? Son cœur battit la chamade comme s’il cherchait à s’évader de la prison de sa cage thoracique. Peut-être que Blake était revenu pour passer ses nerfs sur lui une fois de plus, ou pire, pour l’achever… Non, c’était très peu probable.

     

    Les pas se rapprochaient. Peter se leva avec un gémissement et se précipita vers la barrière qui séparait les docks du chantier. Il s’empara d’une petite poutrelle en fer, la soupesa et imagina le bruit qu’elle ferait sur le crâne de son adversaire présumé, puis se planta au milieu de l’allée. Le jeune homme cria de toutes ses forces : « Qui que vous soyez, sachez que je ne me laisserai pas faire ! » Cependant Peter regretta aussitôt sa provocation : il était loin d’être au sommet de sa forme et il était peu plausible qu’il parvienne à faire le poids face à Blake – si c’était bien lui – ou même face à un de ses sbires.

     

    Les pas résonnaient de plus en plus fort sur l’asphalte, mais aucune silhouette ne se détachait dans son champ de vision. Pourtant, même avec cette obscurité relative, il aurait dû être capable de distinguer quelque chose… Le jeune homme déglutit péniblement et demanda d’une voix forte : « Qui êtes-vous ? » L’inconnu invisible se rapprochait mais ne daignait pas répondre. Peter ne le voyait toujours pas ; il maudit la nuit qui l’empêchait d’en avoir le cœur net. Cette fois-ci, ignorant la douleur de plus en plus intense qui lui lacérait les entrailles, il hurla : « Mais qui êtes-vous, bon sang ! Répondez-moi ! »

     

    Silence. Peter commençait à être sérieusement paniqué ; il serra la barre de fer si fort que les jointures de ses phalanges blanchirent. Mais soudain, alors qu’il se préparait à une attaque imminente, une musique aux sonorités familières lui parvint : il s’agissait indubitablement d’un saxophone. Il avait eu l’occasion d’écouter beaucoup de jazz quand il était enfant. Pourtant le jeune homme n’eut pas le temps de s’interroger davantage sur la présence insolite de cet instrument en plein milieu de la nuit, surtout sur les quais : la douleur reprit tout à coup ses droits, le faisant plonger dans les brumes de l’inconscience.

     

    ***

     

    Lorsque Peter s’éveilla, il faisait toujours nuit. Il était également toujours dans les docks, mais allongé sur un banc. Quand il tenta de se redresser, une voix l’arrêta aussitôt : « Si j’étais toi, je ne ferais pas ça. » Peter tourna la tête et découvrit un jeune homme, assis sur le banc d’en face, qui l’observait d’un air tranquille. La lumière blafarde des réverbères éclairait légèrement son visage d’une pâleur cadavérique ; il arborait des dreadlocks qui lui descendaient jusqu’aux omoplates. Quand il respirait, une buée blanche se formait dans l’air pour disparaître aussitôt. Cela était étrange, car on était en juin et il ne faisait pas particulièrement froid. Un saxophone à l’éclat un peu terne reposait sur ses genoux.

     

    Peter fit naturellement le rapprochement avec l’étrange musique qu’il avait entendue avant de s’évanouir et murmura : « Qui… qui êtes-vous ? » Son interlocuteur répondit sans ciller : « On m’appelle Jim. » Sa voix était grave et rauque ; on aurait dit qu’il n’avait pas parlé depuis une éternité. Un silence pesant suivit cette courte phrase. Le jeune homme reprit : « Je… je suis Peter. Désolé pour tout à l’heure, je vous… prenais pour quelqu’un d’autre. » Celui qui disait s’appeler Jim eut un rire sans joie : « Tu pensais que j’étais un de ceux qui t’ont tabassé, je suppose ? » Peter acquiesça lentement sans donner plus de détails ; il ne désirait pas s’attarder sur cet épisode peu glorieux. Jim continua : « Tu es vraiment dans un sale état, je suis presque étonné de voir qu’avec de telles blessures tu sois encore conscient. »

     

    Peter répliqua : « A une époque j’aurais pu leur faire face sans problème ! Je les aurais même écrasés sans le moindre effort ! » Il regretta aussitôt de s’être emporté : il ressentit une violente douleur au niveau de sa côte fêlée. Jim reprit du même ton paisible, comme s’il n’avait pas entendu ce que le jeune homme venait de dire : « Pas la peine de jouer les durs. A un contre cinq, tu n’aurais jamais pu les battre, même au meilleur de ta forme. » Puis il ajouta après une courte pause : « Surtout que Blake ne se serait jamais laissé battre par quelqu’un d’aussi maigrichon… » Vexé, Peter s’écria : « De quel droit osez-vous… ! » A cet instant, son amour-propre blessé lui faisait  presque plus mal que ses contusions. Mais il s’interrompit brusquement, prenant conscience d’un détail intrigant. Il demanda, soudain soupçonneux : « Comment pouvez-vous connaître Blake ? »

     


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