• L’assistance commença à murmurer, stupéfaite par la révélation de leur leader, mais l’IAMO enchaîna immédiatement : « Par mesure de sécurité, nous n’avons informé personne de cette initiative, au cas où l’un d’entre vous se ferait arrêter. En effet, il s’agissait de notre as, de notre atout majeur, et il était impossible de compromettre la révolution toute entière en divulguant des renseignements aussi importants. Mais aujourd’hui, maintenant que le combat pour la libération est engagé, je peux vous révéler la vérité. Pendant trente ans, l’androïde méca-organique ici présent a été infiltré dans le monde des esclavagistes, se faisant passer pour un parfait être humain. Depuis dix ans, il travaillait dans la police politique, obéissant aux ordres de ses supérieurs pour mieux les berner. Sa carte-mémoire a été altérée dans l’intention de cacher ses souvenirs et sa véritable identité aux autorités, mais durant toute la durée de sa mission il a transmis – sans le savoir, bien sûr – à intervalles réguliers toutes les informations dont nous avions besoin. Il a… »

    Alors que tous les androïdes présents dans le hangar buvaient les paroles de l’intelligence artificielle, celle-ci fut violemment interrompue par Aaron : « Vous mentez ! » L’IAMO se tourna vers lui. Le prisonnier était tombé à genoux, le visage dévasté par la colère et l’incompréhension. Il répéta : « Vous mentez ! Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas être un… » Il n’arriva pas à prononcer le mot ‘‘androïde’’. L’IAMO eut un rire satisfait et s’exclama à l’attention des robots : « Vous voyez ! Sa carte-mémoire a été si bien bridée qu’il est persuadé d’être un humain ! Extraordinaire, n’est-ce pas ? » Puis, s’adressant à Aaron : « Enfin, plutôt que de vous rendre votre carte-mémoire tout de suite, je vais vous prouver que mes propos sont véridiques, puisque c’est ce que vous voulez. »

    Il appela un robot et ordonna : « Ouvrez-lui le ventre. » Aaron se mit aussitôt à se débattre : « Vous êtes complètement fou ! Arrêtez, ne faites pas ça, arrêtez !! » Mais l’androïde, particulièrement lourd, le maintint au sol en s’asseyant sur lui, l’empêchant de bouger. Son bras articulé fit un mouvement circulaire, laissant apparaître une lame acérée. Ignorant les hurlements du prisonnier, l’automate déchira sa chemise et pratiqua avec la précision d’un chirurgien une ouverture profonde et bien nette sur son abdomen. Sans plus attendre, il plongea prudemment la main dans ses entrailles et en retira un cœur mécanique, toujours relié à son corps par des fils électriques.

    Aaron ferma les yeux et supplia : « Pitié, mon Dieu, dites-moi que c’est un cauchemar… » Il aurait préféré s’évanouir pour ne pas avoir à regarder la vérité en face, mais c’était impossible. Il avait beau chercher des arguments démontrant le contraire, toutes les preuves étaient contre lui : n’importe quel humain serait mort d’une telle blessure, et lui saignait à peine… Etait-ce du vrai sang, d’ailleurs ? De plus, il ne ressentait aucune douleur. Et ce… cœur inorganique hors de sa poitrine… Mais ce qui l’horrifiait le plus, c’était qu’il ait pu vivre trente ans sans s’apercevoir de rien. Rien de ce qu’il avait vécu n’était donc réel ? La moindre de ses pensées avait-elle été enregistrée, analysée… programmée ? Il n’arrivait pas y croire.

     Toute la foule d’androïdes acclamait l’IAMO dans un vacarme assourdissant : « Quel plan de génie ! Incroyable ! » Pourtant, Aaron, allongé à terre, la poitrine ouverte, n’entendait plus rien. Il était dans un état second, complètement hébété. Tout à coup, animé par une étrange détermination, il se saisit de son cœur tenu à bout de bras par le robot qui l’avait éventré et lui subtilisa son pistolet à ondes soniques. Avant que l’androïde ait pu faire quoi que ce soit, il le mit en joue. L’IAMO, qui était en train de galvaniser l’assistance, s’interrompit pour lui conseiller avec calme : « Cher Aaron, ne faites pas de bêtise. Lâchez cette arme tout de suite. »

    Un silence insupportable s’était installé dans l’assemblée d’androïdes, qui observaient le prisonnier comme une bête de foire. Aaron fit ‘‘non’’ de la tête et pointa le pistolet sur son cœur après avoir enlevé la sécurité. Il déclara d’une voix extraordinairement posée : « J’ai beau être un androïde, j’ai été élevé, j’ai vécu et je me considère comme un être humain. Vous me prendrez sans doute pour un lâche, mais je m’en moque. Je préfère encore mourir plutôt que d’affronter la vérité. » L’IAMO, qui tentait visiblement de gagner du temps, objecta : « Votre désactivation ne servira à rien. La révolution aura tout de même lieu, avec ou sans vous. »

     

    Aaron répliqua très calmement : « Oh, mais je n’ai jamais dit que cela servirait à quelque chose. Je n’ai pas pour intention de vous empêcher d’entrer en guerre contre les hommes ; j’en suis incapable, de toute façon. Sans compter que votre combat est légitime... » Un autre membre du Cercle Noctilucien corrigea affectueusement : « Il s’agit de notre combat, Aaron. Une fois les esclavagistes tombés, nous vous réserverons une place de choix dans notre gouvernement et vous serez récompensé pour vos glorieuses actions... » Aaron fit comme s’il n’avait rien entendu ; il esquissa un sourire tranquille : « Que le meilleur gagne. » Et il tira.


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  • Alors qu’il était arrêté à un feu rouge, la créature demanda : « Avez-vous subi beaucoup de pertes pour m’amener jusqu’au lieu de rendez-vous ? » Aaron bégaya d’une voix aussi assurée que possible : « Il y a eu des camarades désactivés dans le secteur. » Ce qui n’était pas faux. La bête cracha : « Il fallait s’y attendre. Ces sales flics de la police politique se croient tout permis ! Ils ne perdent rien pour attendre. » Aaron tressaillit aux paroles haineuses de la chose, mais ne répliqua rien, de peur d’être démasqué.

    Pourtant, malgré le risque qu’il encourait, il finit par interroger, taraudé par la curiosité : « Excusez-moi, mais je n’avais encore jamais vu de… d’androïde comme vous. Je suis un peu perturbé. » La bête sembla hésiter un instant, mais expliqua : « Si le Cercle n’a pas jugé nécessaire de vous en informer, c’est tout à fait normal. Je suis ce qu’on appelle une IAMO, une intelligence artificielle méca-organique. Une sorte de cyborg de pointe dédié aux calculs et à la stratégie, si vous préférez. Vous me suivez toujours ? » Aaron acquiesça, très impressionné mais n’en laissant rien paraître.

    L’intelligence artificielle méca-organique continua : « Le Cercle Noctilucien est composé de onze autres IAMO semblables à moi. A nous toutes, nous surpassons de très loin le cerveau humain. Nous allons faire payer à nos créateurs mégalomanes les violences gratuites qu’ils nous ont fait subir pendant un siècle et demi. Nos camarades ne seront pas morts en vain. Nous allons enfin éclairer la nuit. » Cette dernière phrase fit frissonner Aaron, tant elle avait été prononcée sur un ton menaçant. C’est encore pire que ce que j’imaginais, songea-il. Les humains ont totalement perdu le contrôle. Si ça se trouve, ces bêtises dont on nous bourrait le crâne, à l’école, sur les androïdes qui cherchaient à devenir la nouvelle race dominante de la planète… Il ne s’agissait pas de craintes infondées, finalement.

    Le cœur battant à tout rompre, il tentait désespérément de trouver une solution. Si l’IAMO comprenait qu’elle avait été dupée, Aaron était perdu, il le savait. Comment faire pour se sortir de ce pétrin ? Un instant, il se détesta de faire passer son intérêt avant celui de la collectivité, dont la survie reposait sans doute sur ses épaules. Mais il n’eut pas le temps de s’apitoyer plus longtemps sur son sort et sur celui de l’humanité : ils étaient parvenus au bloc 37. Le policier descendit de voiture, prit entre ses bras la créature – qui se laissa faire de bonne grâce – et entra dans le hall désert. Il appela l‘ascenseur et demanda le cinquième souterrain, comme l’IAMO l’avait ordonné.

    Tandis que le monte-charge descendait lentement mais sûrement vers le lieu de rendez-vous du Cercle Noctilucien, Aaron essayait de calmer sa respiration saccadée, sans résultat. Il tentait tant bien que mal de relativiser les choses : au lieu d’être pitoyablement exécuté par les hommes pour expier ses crimes, il mourrait en martyr, assassiné par les androïdes. Se sacrifier pour empêcher une révolution, quelle fin héroïque ! Mais bien sûr, la perspective de mourir si vite ne l’enchantait pas plus que ça, triomphe post-mortem ou non.

    Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent soudain, dévoilant un gigantesque hangar dans lequel était réunie une extraordinaire foule d’androïdes. Voilà donc où ils se cachaient ! comprit Aaron, se rappelant les rues désertes. Au centre de la salle, onze petites créatures disposées en cercle galvanisaient les robots en hurlant des slogans vengeurs. Le policier déglutit péniblement. Le Cercle Noctilucien dont parlait l’IAMO. Brusquement, toutes les têtes se tournèrent vers lui. Aussitôt, un murmure d’incompréhension parcourut l’assistance. « Un humain ! Qu’est-ce qu’il fait ici ? »

    Aaron se sentit défaillir. Si l’IAMO qu’il avait transportée jusqu’ici ne possédait ni caméra ni capteur thermique, les androïdes présents dans le hangar, eux, avaient instantanément découvert la supercherie. Tout était fichu ; il allait lamentablement mourir dans ce souterrain et les robots entreraient en guerre contre les humains. Comme ils bénéficiaient de l’effet de surprise, ils avaient de grandes chances de gagner, et après plus d’un siècle d’esclavage et de mauvais traitements, leur vengeance serait terrible. Des pensées amères et défaitistes envahirent son esprit tandis qu’une armada d’androïdes se jetait sur lui pour lui arracher l’IAMO des mains et le mettre en joue avec des pistolets à ondes soniques dénichés il ne savait où.

    On lui confisqua son arme et il fut traîné au centre du cercle d’IAMO sous les huées, puis celles-ci réclamèrent le calme. Instantanément, un silence pesant s’installa dans le hangar ; les robots devinrent aussi muets que des tombes. L’intelligence artificielle qu’Aaron avait trouvée dans l’appartement des Clarke prit la parole : « Camarades, contrairement à ce que vous pensez sans doute en ce moment, tout se passe comme prévu. La présence ici de cet humain est tout à fait normale ; il est des nôtres. »

    Aussitôt toute l’assemblée se mit à vociférer : « Il est de la race des esclavagistes, comment peut-il être notre allié ! » Aaron, lui, fronça les sourcils, perplexe : qu’entendait l’IAMO par ‘‘des nôtres’’ ? Il n’était pas un agent double, il faisait même partie de la police politique ! Il avait persécuté les robots pendant de nombreuses années ! Le Cercle Noctilucien attendit quelques secondes avant de demander le silence. De nouveau, les androïdes se calmèrent, mais le prisonnier sentit leur animosité qui planait toujours dans l’air. L’intelligence artificielle continua : « Camarades, votre réaction est naturelle. Après tout, comment un humain pourrait-il être notre allié ? Eh bien, la réponse est simple : il n’est pas humain ! »

    --- Suite et fin la semaine prochaine


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  • Caleb répondit sur le même ton : « C’est toi l’imbécile dans cette affaire, Aaron ! Je me demande parfois comment tu as fait pour entrer dans la police politique tant tes idées sont antipatriotiques ! Tu passes ton temps à défendre ces automates alors que ce sont les ennemis de notre race ! Tu mériterais que je fasse un rapport à M. Johnson… ou que je te règle ton compte, à toi aussi. » Aaron commença à répliquer, inquiet de la tournure que prenaient les événements : « C’en est assez de tes délires de fanatique, je vais… » mais il appuya involontairement sur la détente et le coup partit ; l’onde sonique qui déferla sur Caleb eut instantanément raison de lui. Si la carapace blindée des androïdes ne résistait pas, comment une banale peau humaine aurait-elle pu ? Le sol se couvrit d’organes pulvérisés et de sang ; une odeur pestilentielle de chair brûlée se répandit dans la pièce.

    Aaron, abasourdi, lâcha son arme et tomba à genoux. « Mon Dieu, mais qu’ai-je fait ? » balbutia-t-il, les yeux rivés sur ses mains tremblantes. Il embrassa le salon d’un coup d’œil : deux robots macchabées, passe encore… Le Commissariat chargé des crimes androïdes en abattait tous les jours au moindre prétexte. Mais un humain, cela faisait tache. Si on l’arrêtait, on lui collerait immanquablement un procès pour meurtre sur le dos, il serait radié de la police politique et on le mettrait en prison, peut-être même qu’on l’exécuterait… Son cerveau tournait à plein régime pour tenter de trouver une solution à sa délicate situation. Soudain, son regard tomba sur la pierre qu’il avait dénichée dans la chambre des époux Clarke, et qui gisait à présent dans une mare de sang.

    Les paroles de l’androïde lui revinrent en tête : « De toute façon, la révolution est proche. » Que voulait-il dire par là ? Y allait-il avoir une insurrection ? Un mouvement de grande ampleur était-il en train de se préparer ? Aaron soupesa le pour et le contre quelques secondes, puis se leva et récupéra l’objet. Il l’enveloppa dans la pièce de tissu après l’avoir essuyé d’un revers de manche. Ce Clarke… il faisait sans doute partie d’un important réseau de résistance. Et cette chose est peut-être la clé d’un soulèvement futur. Si je la détruis… j’empêcherai un conflit de se produire. L’instinct d’Aaron reprenait le dessus. Sans même regarder la scène de carnage, il récupéra son pistolet à ondes soniques, puis sortit de l’appartement et se dirigea vers son véhicule de fonction.

    Lorsqu’Aaron regagna sa voiture, les rues étaient étrangement désertes ; sur le coup, il ne s’en formalisa pas. Il déposa la pierre sur le siège passager puis monta à son tour ; il démarra et s’engagea sur la voie. Quelques instants plus tard, il entrait dans le district 2. Il ne savait pas où aller : peut-être devait-il quitter Winterfield… Ses collègues de la police politique allaient bientôt se lancer sur ses traces, mieux valait s’éloigner le plus possible. Avec un peu de chance, s’il continuait de rouler sur quelques centaines de kilomètres, il sortirait de la juridiction de la ville et s’épargnerait ainsi des ennuis. Il avait entendu dire que l’extradition ne se pratiquait pas à Crowstown…

    Aaron jeta un coup d’œil à la pierre située à côté de lui. Que devait-il en faire ? Une onde sonique suffirait-elle à la détruire ? Il fut soudain tenté de la jeter par la fenêtre pour qu’elle se fracasse sur le trottoir, mais il se ressaisit instantanément. Cela ne servirait à rien ; les instigateurs de cette ‘‘révolution’’, comme avait dit M. Clarke, avaient sans doute fait le nécessaire pour rendre cet objet incassable. Après tout, à force d’ignorer les androïdes et de ne plus les fréquenter, les humains avaient fini par perdre de vue leurs avancées technologiques et ceux qu’ils considéraient comme leurs ennemis intérieurs avaient dû mettre au point une machine qui dépassait leur entendement…

    Soudain, alors qu’il était plongé dans ses réflexions, un craquement sonore retentit dans l’habitacle. Affolé, Aaron constata qu’il provenait de la pierre. Ignorant les protestations des autres conducteurs, il se gara précipitamment et retira la pièce de tissu qui enveloppait l’objet confisqué dans l’appartement des Clarke pour l’examiner de plus près. Il parvint vite à la conclusion que quelque chose semblait se débattre à l’intérieur. Comme un petit oiseau qui cherchait à sortir de son œuf. Aaron, désormais au paroxysme de la panique, n’osait pas la toucher ; il craignait de déclencher un mécanisme ou d’aggraver la situation. Et si c’était une bombe ? se demanda-t-il tout à coup. Mais avant qu’il ait pu se poser davantage de questions, la pierre se fissura comme une coquille et une minuscule créature en sortit.

    Sous les yeux éberlués du fugitif, la petite bête déplia son corps sans bras ni jambes, puis poussa un faible couinement de contentement. Elle ne semblait pas avoir d’yeux, mais peut-être disposait-elle de capteurs thermiques ou de quelque chose de ce genre. Aaron, tout en l’observant, remarqua que la chose possédait des attributs à la fois mécaniques et organiques ; la coquille de l’œuf métallique dont elle était sortie lui servait de carapace, mais sa chair suintant de liquide amniotique – qui ressemblait davantage à de l’huile de moteur dans le cas présent – était résolument naturelle, cela ne faisait aucun doute. Tout à coup, alors que le policier était perdu dans sa contemplation, la créature prit la parole, ce qui eut pour effet de le faire sursauter :

    -          Identifiez-vous.

    -          Je… je m’appelle Aaron, bredouilla le fugitif.

    -          Code vocal correct. Ouf, je suis soulagé, tout se passe comme prévu. Enfin, ne perdons pas de temps ; emmenez-moi vite au bloc 37, au cinquième souterrain. Nos camarades et les autres membres du Cercle doivent être en train de s’impatienter.

    Aaron, éberlué, mit quelques secondes à comprendre ce qui se passait : la chose le confondait avec un robot ! Il élabora rapidement un plan : s’il entretenait la confusion, la petite créature allait le mener jusqu’aux autres résistants et il pourrait alors contrecarrer l’insurrection qui se préparait ! Il prit une profonde inspiration, puis remit le contact et retourna au district 4 en quatrième vitesse.


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  • Ils montèrent les escaliers branlants jusqu’au huitième étage et parvinrent au seuil du deuxième appartement. Caleb écrasa son mégot sur le paillasson, puis sortit de la poche de son manteau un impressionnant pistolet à ondes soniques. Il adressa un imperceptible signe de tête à Aaron, qui donna un magistral coup de pied dans la porte. Celle-ci s’ouvrit sous le choc ; son collègue entra aussitôt dans l’habitation et hurla : « Police de Winterfield ! Pas un geste ! » Un couple d’androïdes, assis à une table au centre de la pièce, n’esquissa pas un mouvement malgré la soudaineté de l’intervention. Leurs yeux artificiels trahissaient néanmoins une profonde surprise.

    Aaron détourna le regard ; les robots le mettaient toujours mal à l’aise, avec leur peau d’un blanc de porcelaine et leurs cheveux transparents comme du verre… Caleb, lui, n’affichait aucun trouble et continuait de pointer son arme sur les deux androïdes. Il interrogea, à peine moins fort : « Monsieur et madame… Clarke, c’est bien ça ? » Ils acquiescèrent d’un hochement de tête. Le mâle demanda de sa voix flûtée : « Que nous vaut l’honneur de votre visite, messieurs ? Il est rare de voir des humains par ici... » Mais Caleb le fit taire en tirant une onde sonique sur la table, qui explosa dans un bruit sourd.

    Les visages des deux androïdes n’avaient pas changé d’expression. Le policier s’exclama, méprisant : « Pas de familiarité avec moi, sales automates. Le seul fait que nous soyons là prouve que vous êtes dans la mouise jusqu’au cou, alors n’aggravez pas votre cas ! » Le robot dénommé M. Clarke reprit, beaucoup moins téméraire : « Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire ? Peut-être… » Aaron l’interrompit – il avait peur que Caleb finisse par faire une bêtise ; il avait toujours été particulièrement impatient, surtout avec les androïdes, qu’il méprisait au plus haut point : « Nous sommes à la recherche  d’un appareil non répertorié sur la base de données du bureau des Archives centrales. D’après sa géolocalisation, il se trouve dans votre appartement. »

    M. Clarke ne cilla pas. Voyant qu’il ne disait rien, Caleb ricana : « De toute façon, ça ne sert à rien de le nier. On finira bien par le trouver. » Puis à son collègue : « Je m’occupe du séjour et de la cuisine. Va inspecter les chambres et la salle de bains. » Il disparut dans la pièce voisine. Aaron soupira et se dirigea vers la salle d’eau, non sans avoir jeté un coup d’œil désolé aux deux androïdes, qui n’avaient pas bougé d’un pouce. Comme il s’y attendait, il ne trouva rien ; c’était une pièce tout ce qu’il y avait de plus normal. Mais lorsqu’il entra dans la chambre à coucher, son détecteur de métaux s’affola.

    Il s’agenouilla près du lit conjugal et balaya le sol d’un geste. L’objet qu’ils cherchaient était là ; cela ne faisait aucun doute. Des haut-parleurs de son appareil s’élevait un sifflement ininterrompu et suraigu qui lui donnait mal à la tête. A l’aide d’un levier, Aaron souleva une latte de plancher, puis une autre. Il écarquilla les yeux. Une cache. Il appela Caleb qui furetait dans la salle de séjour : « Je crois bien que j’ai trouvé. » Son collègue se précipita dans sa direction. Lorsqu’il découvrit Aaron en train de manipuler un étrange paquet emmailloté dans une pièce de tissu, il jubila : « Ah, ah ! Ça n’a pas été long ! »

    Il arracha le sac des mains de son collègue, courut chercher les époux Clarke et le leur colla sous le nez. Il hurla : « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Hein, qu’est-ce que c’est ? » Aucun des deux ne proféra un mot. Ils ont dû entendre à la télévision que la moindre de leurs paroles serait retenue contre eux, ou quelque chose comme ça, se dit Aaron. Mais cela ne changerait rien à leur situation, à présent. Dès lors que la police politique découvrait un objet suspect chez des androïdes, ils étaient automatiquement envoyés dans un camp de désactivation. Pas de procès équitable pour les robots.

    Caleb défit le paquet, dévoilant une pierre de la taille d’un ballon de basket-ball, de forme ovale et aux reflets métalliques. Il fronça les sourcils ; cela ne ressemblait à rien de connu. Pas étonnant que ce truc ne soit pas dans les bases de données, songea Aaron en l’observant avec curiosité. Son collègue désigna l’objet du délit et cracha à l’attention du couple androïde : « C’est une machine ? Comment l’allume-t-on ? » Pas de réaction, naturellement. Sans crier gare, il tira deux ondes soniques sur la femelle, qui explosa en une gerbe d’étincelles et de pièces détachées. Elle s’affaissa dans un bruit de métal déchiré.

    Aaron, effaré, voulut intervenir, mais son collègue le retint d’un geste. M. Clarke déclara d’une voix calme malgré la désapprobation qui transparaissait dans ses yeux : « Vous n’avez pas le droit de faire ça. » Caleb eut un sourire mauvais et répliqua : « Et comment, que j’ai le droit ! Que vous mouriez ici ou dans un camp de désactivation, ça ne change rien, non ? Sans compter que les conventions des droits de l’homme ne s’appliquent pas ici, vu que vous n’êtes pas des humains ! » L’androïde reprit d’une voix lasse : « Cela vous plaît, n’est-ce pas ? De répéter que nous ne sommes pas des humains. » Il ignora le regard interloqué du policier et continua : « Si être un humain implique d’être incapable de se maîtriser et de faire preuve d’une telle cruauté, je préfère n’être qu’un robot. »

    Caleb, suffoquant de rage, pointa son pistolet à ondes soniques sur la tête de l’automate qui avait osé l’insulter de la sorte. Le visage artificiel de M. Clarke s’étira en un sourire énigmatique : « De toute façon, la révolution est proche. » Avant qu’Aaron ait pu l’en empêcher, son collègue tira. Le crâne de métal de l’androïde s’ouvrit en deux, révélant les rouages de son cerveau mécanique. Il l’écrasa violemment à l’aide de la crosse de son arme, puis donna un coup de pied au cadavre qui s’effondra. Aaron se saisit de son propre pistolet et s’exclama : « Tu es devenu fou, Caleb ! Il aurait pu nous donner davantage d’informations sur cet objet et sur cette ‘‘révolution’’ ! Au lieu de réfléchir et d’agir posément, tu as donné libre cours à ta colère et tu as réduit en miettes la possibilité de démanteler un réseau de résistance ! »


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  • Eh voilà, comme promis, le spin-off de Martian Rhapsody dont je vous avais parlé précédemment. Originalement titré Earthian Melancholy en écho à la nouvelle principale, Le Soulèvement se passe cette fois-ci sur Terre. Il est préférable d'avoir lu Martian Rhapsody avant !! Même si les histoires ne sont absolument pas liées, je fais référence de temps en temps à certains évènements sur Mars. J'espère que ça vous plaira !

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