• Le Soulèvement - Cinquième partie [FIN]

    L’assistance commença à murmurer, stupéfaite par la révélation de leur leader, mais l’IAMO enchaîna immédiatement : « Par mesure de sécurité, nous n’avons informé personne de cette initiative, au cas où l’un d’entre vous se ferait arrêter. En effet, il s’agissait de notre as, de notre atout majeur, et il était impossible de compromettre la révolution toute entière en divulguant des renseignements aussi importants. Mais aujourd’hui, maintenant que le combat pour la libération est engagé, je peux vous révéler la vérité. Pendant trente ans, l’androïde méca-organique ici présent a été infiltré dans le monde des esclavagistes, se faisant passer pour un parfait être humain. Depuis dix ans, il travaillait dans la police politique, obéissant aux ordres de ses supérieurs pour mieux les berner. Sa carte-mémoire a été altérée dans l’intention de cacher ses souvenirs et sa véritable identité aux autorités, mais durant toute la durée de sa mission il a transmis – sans le savoir, bien sûr – à intervalles réguliers toutes les informations dont nous avions besoin. Il a… »

    Alors que tous les androïdes présents dans le hangar buvaient les paroles de l’intelligence artificielle, celle-ci fut violemment interrompue par Aaron : « Vous mentez ! » L’IAMO se tourna vers lui. Le prisonnier était tombé à genoux, le visage dévasté par la colère et l’incompréhension. Il répéta : « Vous mentez ! Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas être un… » Il n’arriva pas à prononcer le mot ‘‘androïde’’. L’IAMO eut un rire satisfait et s’exclama à l’attention des robots : « Vous voyez ! Sa carte-mémoire a été si bien bridée qu’il est persuadé d’être un humain ! Extraordinaire, n’est-ce pas ? » Puis, s’adressant à Aaron : « Enfin, plutôt que de vous rendre votre carte-mémoire tout de suite, je vais vous prouver que mes propos sont véridiques, puisque c’est ce que vous voulez. »

    Il appela un robot et ordonna : « Ouvrez-lui le ventre. » Aaron se mit aussitôt à se débattre : « Vous êtes complètement fou ! Arrêtez, ne faites pas ça, arrêtez !! » Mais l’androïde, particulièrement lourd, le maintint au sol en s’asseyant sur lui, l’empêchant de bouger. Son bras articulé fit un mouvement circulaire, laissant apparaître une lame acérée. Ignorant les hurlements du prisonnier, l’automate déchira sa chemise et pratiqua avec la précision d’un chirurgien une ouverture profonde et bien nette sur son abdomen. Sans plus attendre, il plongea prudemment la main dans ses entrailles et en retira un cœur mécanique, toujours relié à son corps par des fils électriques.

    Aaron ferma les yeux et supplia : « Pitié, mon Dieu, dites-moi que c’est un cauchemar… » Il aurait préféré s’évanouir pour ne pas avoir à regarder la vérité en face, mais c’était impossible. Il avait beau chercher des arguments démontrant le contraire, toutes les preuves étaient contre lui : n’importe quel humain serait mort d’une telle blessure, et lui saignait à peine… Etait-ce du vrai sang, d’ailleurs ? De plus, il ne ressentait aucune douleur. Et ce… cœur inorganique hors de sa poitrine… Mais ce qui l’horrifiait le plus, c’était qu’il ait pu vivre trente ans sans s’apercevoir de rien. Rien de ce qu’il avait vécu n’était donc réel ? La moindre de ses pensées avait-elle été enregistrée, analysée… programmée ? Il n’arrivait pas y croire.

     Toute la foule d’androïdes acclamait l’IAMO dans un vacarme assourdissant : « Quel plan de génie ! Incroyable ! » Pourtant, Aaron, allongé à terre, la poitrine ouverte, n’entendait plus rien. Il était dans un état second, complètement hébété. Tout à coup, animé par une étrange détermination, il se saisit de son cœur tenu à bout de bras par le robot qui l’avait éventré et lui subtilisa son pistolet à ondes soniques. Avant que l’androïde ait pu faire quoi que ce soit, il le mit en joue. L’IAMO, qui était en train de galvaniser l’assistance, s’interrompit pour lui conseiller avec calme : « Cher Aaron, ne faites pas de bêtise. Lâchez cette arme tout de suite. »

    Un silence insupportable s’était installé dans l’assemblée d’androïdes, qui observaient le prisonnier comme une bête de foire. Aaron fit ‘‘non’’ de la tête et pointa le pistolet sur son cœur après avoir enlevé la sécurité. Il déclara d’une voix extraordinairement posée : « J’ai beau être un androïde, j’ai été élevé, j’ai vécu et je me considère comme un être humain. Vous me prendrez sans doute pour un lâche, mais je m’en moque. Je préfère encore mourir plutôt que d’affronter la vérité. » L’IAMO, qui tentait visiblement de gagner du temps, objecta : « Votre désactivation ne servira à rien. La révolution aura tout de même lieu, avec ou sans vous. »

     

    Aaron répliqua très calmement : « Oh, mais je n’ai jamais dit que cela servirait à quelque chose. Je n’ai pas pour intention de vous empêcher d’entrer en guerre contre les hommes ; j’en suis incapable, de toute façon. Sans compter que votre combat est légitime... » Un autre membre du Cercle Noctilucien corrigea affectueusement : « Il s’agit de notre combat, Aaron. Une fois les esclavagistes tombés, nous vous réserverons une place de choix dans notre gouvernement et vous serez récompensé pour vos glorieuses actions... » Aaron fit comme s’il n’avait rien entendu ; il esquissa un sourire tranquille : « Que le meilleur gagne. » Et il tira.


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