• Le Soulèvement - Quatrième partie

    Alors qu’il était arrêté à un feu rouge, la créature demanda : « Avez-vous subi beaucoup de pertes pour m’amener jusqu’au lieu de rendez-vous ? » Aaron bégaya d’une voix aussi assurée que possible : « Il y a eu des camarades désactivés dans le secteur. » Ce qui n’était pas faux. La bête cracha : « Il fallait s’y attendre. Ces sales flics de la police politique se croient tout permis ! Ils ne perdent rien pour attendre. » Aaron tressaillit aux paroles haineuses de la chose, mais ne répliqua rien, de peur d’être démasqué.

    Pourtant, malgré le risque qu’il encourait, il finit par interroger, taraudé par la curiosité : « Excusez-moi, mais je n’avais encore jamais vu de… d’androïde comme vous. Je suis un peu perturbé. » La bête sembla hésiter un instant, mais expliqua : « Si le Cercle n’a pas jugé nécessaire de vous en informer, c’est tout à fait normal. Je suis ce qu’on appelle une IAMO, une intelligence artificielle méca-organique. Une sorte de cyborg de pointe dédié aux calculs et à la stratégie, si vous préférez. Vous me suivez toujours ? » Aaron acquiesça, très impressionné mais n’en laissant rien paraître.

    L’intelligence artificielle méca-organique continua : « Le Cercle Noctilucien est composé de onze autres IAMO semblables à moi. A nous toutes, nous surpassons de très loin le cerveau humain. Nous allons faire payer à nos créateurs mégalomanes les violences gratuites qu’ils nous ont fait subir pendant un siècle et demi. Nos camarades ne seront pas morts en vain. Nous allons enfin éclairer la nuit. » Cette dernière phrase fit frissonner Aaron, tant elle avait été prononcée sur un ton menaçant. C’est encore pire que ce que j’imaginais, songea-il. Les humains ont totalement perdu le contrôle. Si ça se trouve, ces bêtises dont on nous bourrait le crâne, à l’école, sur les androïdes qui cherchaient à devenir la nouvelle race dominante de la planète… Il ne s’agissait pas de craintes infondées, finalement.

    Le cœur battant à tout rompre, il tentait désespérément de trouver une solution. Si l’IAMO comprenait qu’elle avait été dupée, Aaron était perdu, il le savait. Comment faire pour se sortir de ce pétrin ? Un instant, il se détesta de faire passer son intérêt avant celui de la collectivité, dont la survie reposait sans doute sur ses épaules. Mais il n’eut pas le temps de s’apitoyer plus longtemps sur son sort et sur celui de l’humanité : ils étaient parvenus au bloc 37. Le policier descendit de voiture, prit entre ses bras la créature – qui se laissa faire de bonne grâce – et entra dans le hall désert. Il appela l‘ascenseur et demanda le cinquième souterrain, comme l’IAMO l’avait ordonné.

    Tandis que le monte-charge descendait lentement mais sûrement vers le lieu de rendez-vous du Cercle Noctilucien, Aaron essayait de calmer sa respiration saccadée, sans résultat. Il tentait tant bien que mal de relativiser les choses : au lieu d’être pitoyablement exécuté par les hommes pour expier ses crimes, il mourrait en martyr, assassiné par les androïdes. Se sacrifier pour empêcher une révolution, quelle fin héroïque ! Mais bien sûr, la perspective de mourir si vite ne l’enchantait pas plus que ça, triomphe post-mortem ou non.

    Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent soudain, dévoilant un gigantesque hangar dans lequel était réunie une extraordinaire foule d’androïdes. Voilà donc où ils se cachaient ! comprit Aaron, se rappelant les rues désertes. Au centre de la salle, onze petites créatures disposées en cercle galvanisaient les robots en hurlant des slogans vengeurs. Le policier déglutit péniblement. Le Cercle Noctilucien dont parlait l’IAMO. Brusquement, toutes les têtes se tournèrent vers lui. Aussitôt, un murmure d’incompréhension parcourut l’assistance. « Un humain ! Qu’est-ce qu’il fait ici ? »

    Aaron se sentit défaillir. Si l’IAMO qu’il avait transportée jusqu’ici ne possédait ni caméra ni capteur thermique, les androïdes présents dans le hangar, eux, avaient instantanément découvert la supercherie. Tout était fichu ; il allait lamentablement mourir dans ce souterrain et les robots entreraient en guerre contre les humains. Comme ils bénéficiaient de l’effet de surprise, ils avaient de grandes chances de gagner, et après plus d’un siècle d’esclavage et de mauvais traitements, leur vengeance serait terrible. Des pensées amères et défaitistes envahirent son esprit tandis qu’une armada d’androïdes se jetait sur lui pour lui arracher l’IAMO des mains et le mettre en joue avec des pistolets à ondes soniques dénichés il ne savait où.

    On lui confisqua son arme et il fut traîné au centre du cercle d’IAMO sous les huées, puis celles-ci réclamèrent le calme. Instantanément, un silence pesant s’installa dans le hangar ; les robots devinrent aussi muets que des tombes. L’intelligence artificielle qu’Aaron avait trouvée dans l’appartement des Clarke prit la parole : « Camarades, contrairement à ce que vous pensez sans doute en ce moment, tout se passe comme prévu. La présence ici de cet humain est tout à fait normale ; il est des nôtres. »

    Aussitôt toute l’assemblée se mit à vociférer : « Il est de la race des esclavagistes, comment peut-il être notre allié ! » Aaron, lui, fronça les sourcils, perplexe : qu’entendait l’IAMO par ‘‘des nôtres’’ ? Il n’était pas un agent double, il faisait même partie de la police politique ! Il avait persécuté les robots pendant de nombreuses années ! Le Cercle Noctilucien attendit quelques secondes avant de demander le silence. De nouveau, les androïdes se calmèrent, mais le prisonnier sentit leur animosité qui planait toujours dans l’air. L’intelligence artificielle continua : « Camarades, votre réaction est naturelle. Après tout, comment un humain pourrait-il être notre allié ? Eh bien, la réponse est simple : il n’est pas humain ! »

    --- Suite et fin la semaine prochaine


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