• Le Soulèvement - Troisième partie

    Caleb répondit sur le même ton : « C’est toi l’imbécile dans cette affaire, Aaron ! Je me demande parfois comment tu as fait pour entrer dans la police politique tant tes idées sont antipatriotiques ! Tu passes ton temps à défendre ces automates alors que ce sont les ennemis de notre race ! Tu mériterais que je fasse un rapport à M. Johnson… ou que je te règle ton compte, à toi aussi. » Aaron commença à répliquer, inquiet de la tournure que prenaient les événements : « C’en est assez de tes délires de fanatique, je vais… » mais il appuya involontairement sur la détente et le coup partit ; l’onde sonique qui déferla sur Caleb eut instantanément raison de lui. Si la carapace blindée des androïdes ne résistait pas, comment une banale peau humaine aurait-elle pu ? Le sol se couvrit d’organes pulvérisés et de sang ; une odeur pestilentielle de chair brûlée se répandit dans la pièce.

    Aaron, abasourdi, lâcha son arme et tomba à genoux. « Mon Dieu, mais qu’ai-je fait ? » balbutia-t-il, les yeux rivés sur ses mains tremblantes. Il embrassa le salon d’un coup d’œil : deux robots macchabées, passe encore… Le Commissariat chargé des crimes androïdes en abattait tous les jours au moindre prétexte. Mais un humain, cela faisait tache. Si on l’arrêtait, on lui collerait immanquablement un procès pour meurtre sur le dos, il serait radié de la police politique et on le mettrait en prison, peut-être même qu’on l’exécuterait… Son cerveau tournait à plein régime pour tenter de trouver une solution à sa délicate situation. Soudain, son regard tomba sur la pierre qu’il avait dénichée dans la chambre des époux Clarke, et qui gisait à présent dans une mare de sang.

    Les paroles de l’androïde lui revinrent en tête : « De toute façon, la révolution est proche. » Que voulait-il dire par là ? Y allait-il avoir une insurrection ? Un mouvement de grande ampleur était-il en train de se préparer ? Aaron soupesa le pour et le contre quelques secondes, puis se leva et récupéra l’objet. Il l’enveloppa dans la pièce de tissu après l’avoir essuyé d’un revers de manche. Ce Clarke… il faisait sans doute partie d’un important réseau de résistance. Et cette chose est peut-être la clé d’un soulèvement futur. Si je la détruis… j’empêcherai un conflit de se produire. L’instinct d’Aaron reprenait le dessus. Sans même regarder la scène de carnage, il récupéra son pistolet à ondes soniques, puis sortit de l’appartement et se dirigea vers son véhicule de fonction.

    Lorsqu’Aaron regagna sa voiture, les rues étaient étrangement désertes ; sur le coup, il ne s’en formalisa pas. Il déposa la pierre sur le siège passager puis monta à son tour ; il démarra et s’engagea sur la voie. Quelques instants plus tard, il entrait dans le district 2. Il ne savait pas où aller : peut-être devait-il quitter Winterfield… Ses collègues de la police politique allaient bientôt se lancer sur ses traces, mieux valait s’éloigner le plus possible. Avec un peu de chance, s’il continuait de rouler sur quelques centaines de kilomètres, il sortirait de la juridiction de la ville et s’épargnerait ainsi des ennuis. Il avait entendu dire que l’extradition ne se pratiquait pas à Crowstown…

    Aaron jeta un coup d’œil à la pierre située à côté de lui. Que devait-il en faire ? Une onde sonique suffirait-elle à la détruire ? Il fut soudain tenté de la jeter par la fenêtre pour qu’elle se fracasse sur le trottoir, mais il se ressaisit instantanément. Cela ne servirait à rien ; les instigateurs de cette ‘‘révolution’’, comme avait dit M. Clarke, avaient sans doute fait le nécessaire pour rendre cet objet incassable. Après tout, à force d’ignorer les androïdes et de ne plus les fréquenter, les humains avaient fini par perdre de vue leurs avancées technologiques et ceux qu’ils considéraient comme leurs ennemis intérieurs avaient dû mettre au point une machine qui dépassait leur entendement…

    Soudain, alors qu’il était plongé dans ses réflexions, un craquement sonore retentit dans l’habitacle. Affolé, Aaron constata qu’il provenait de la pierre. Ignorant les protestations des autres conducteurs, il se gara précipitamment et retira la pièce de tissu qui enveloppait l’objet confisqué dans l’appartement des Clarke pour l’examiner de plus près. Il parvint vite à la conclusion que quelque chose semblait se débattre à l’intérieur. Comme un petit oiseau qui cherchait à sortir de son œuf. Aaron, désormais au paroxysme de la panique, n’osait pas la toucher ; il craignait de déclencher un mécanisme ou d’aggraver la situation. Et si c’était une bombe ? se demanda-t-il tout à coup. Mais avant qu’il ait pu se poser davantage de questions, la pierre se fissura comme une coquille et une minuscule créature en sortit.

    Sous les yeux éberlués du fugitif, la petite bête déplia son corps sans bras ni jambes, puis poussa un faible couinement de contentement. Elle ne semblait pas avoir d’yeux, mais peut-être disposait-elle de capteurs thermiques ou de quelque chose de ce genre. Aaron, tout en l’observant, remarqua que la chose possédait des attributs à la fois mécaniques et organiques ; la coquille de l’œuf métallique dont elle était sortie lui servait de carapace, mais sa chair suintant de liquide amniotique – qui ressemblait davantage à de l’huile de moteur dans le cas présent – était résolument naturelle, cela ne faisait aucun doute. Tout à coup, alors que le policier était perdu dans sa contemplation, la créature prit la parole, ce qui eut pour effet de le faire sursauter :

    -          Identifiez-vous.

    -          Je… je m’appelle Aaron, bredouilla le fugitif.

    -          Code vocal correct. Ouf, je suis soulagé, tout se passe comme prévu. Enfin, ne perdons pas de temps ; emmenez-moi vite au bloc 37, au cinquième souterrain. Nos camarades et les autres membres du Cercle doivent être en train de s’impatienter.

    Aaron, éberlué, mit quelques secondes à comprendre ce qui se passait : la chose le confondait avec un robot ! Il élabora rapidement un plan : s’il entretenait la confusion, la petite créature allait le mener jusqu’aux autres résistants et il pourrait alors contrecarrer l’insurrection qui se préparait ! Il prit une profonde inspiration, puis remit le contact et retourna au district 4 en quatrième vitesse.


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