• Le lendemain matin, Manon se réveilla avec la sensation d’avoir la tête dans un étau. Les enquêteurs du département EED l’avaient comme promis déposée chez elle, sous le regard médusé de ses parents ; ces derniers avaient eu une longue discussion avec les policiers, qui leur avaient conseillé l’extrême prudence et la surveillance accrue des relations de leur fille. Ils avaient également convenu qu’elle retournerait à son établissement d’instruction dès le jour suivant, même si elle n’avait dormi qu’une ou deux heures, pour ne pas perturber davantage le bon fonctionnement des cours.

    Manon entra dans la salle à manger, où se trouvait déjà son père. Il la considéra d’un air attristé, puis marmonna : « Mange vite ton petit déjeuner, tu vas finir par être en retard. » Elle jeta un bref coup d’œil aux tartines de confiture semi-organique qui trônaient sur la table et réprima un haut-le-cœur. « Je n’ai pas faim. » Incapable de supporter plus longtemps le regard accusateur de son père, elle repartit de la cuisine aussi vite qu’elle était venue et retourna dans sa chambre. Son cœur battait à coups lents et sourds dans sa poitrine, comme une cloche tonitruante et infatigable qui ne s’arrêterait jamais de sonner. Elle avait du mal à respirer.

    Sentant les larmes lui monter aux yeux, Manon s’empressa de ranger quelques affaires dans son sac, puis sortit de l’appartement sans adresser un mot à sa mère qui mettait ses chaussures dans le couloir. Le trajet jusqu’à son établissement d’instruction se déroula sans incident, même si la jeune fille avait la désagréable impression que tous les piétons se retournaient sur son passage, comme s’ils étaient au courant de son abominable forfait. La situation se compliqua lorsqu’elle entra dans sa salle de classe. Tous les regards se tournèrent vers elle ; des regards torves, méprisants, dégoûtés. Elle baissa la tête pour ne pas avoir à les croiser, puis alla s’installer à sa place. Sa table était maculée de dessins obscènes et d’insultes.

    Manon avait à peine sorti ses cahiers et ses livres que plusieurs élèves l’entourèrent. Elle jeta un coup d’œil désespéré en direction de Valentine, la camarade qu’elle avait essayé d’embrasser la veille, mais l’adolescente lui tournait délibérément le dos. Le premier jeune homme entama les hostilités en crachant sur son bureau. « Alors, il paraît que tu as eu affaire au département EED, hier soir ? Comment ça se fait que tu reviennes comme si de rien n’était ? » Son copain eut un rire gras : « Les éléments dégénérés, au bûcher ! » Un autre encore ajouta avec un rictus : « Les traîtres à l’espèce humaine n’ont pas leur place ici ! »

    Soudain, un des harceleurs lui empoigna un sein. « Remarquez, elle est plutôt bien foutue ! Ça ne me dérangerait pas de la lui mettre ! » Horrifiée, Manon ne put s’empêcher de le gifler. Un silence de mort se fit autour elle. Le jeune homme effleura sa joue devenue rouge avec un air effaré. Il hurla : « Comment oses-tu…! » Pour laver l’affront, il lui asséna un violent coup de poing dans le ventre. Manon s’effondra sur sa table. La souffrance lui arracha des larmes brûlantes et salées.

    Mais l’autre ne comptait pas s’arrêter là ; il l’attrapa par les cheveux et vociféra : « Sale dégénérée ! » Il la jeta par terre et commença à déboutonner son chemisier avec frénésie. Autour de lui, une foule compacte commençait à se former et à beugler des cris d’encouragement. Personne ne tenta de les séparer ; le professeur censé leur délivrer la leçon du jour tardait étrangement à arriver. La jeune fille essayait en vain de se débattre, mais plusieurs élèves la maintenaient au sol. L’adolescent que Manon avait repoussé lui arracha son pantalon puis ouvrit la braguette du sien en poussant un râle de satisfaction. « Je te rends service ! Grâce à moi, tu vas devenir une contributrice à la préservation de l’humanité ! »

    Soudain, alors qu’elle était sur le point d’abandonner, Manon eut un sursaut de résistance et jeta son genou le plus fort possible dans l’entrejambe de son assaillant, qui hoqueta de douleur. Elle en profita pour se dégager de son étreinte et se précipita vers la fenêtre. Après en ouvert les battants, elle passa par-dessus la rambarde qui la séparait du vide. Son agresseur s’était relevé ; il aperçut la jeune fille qui vacillait au bord du néant et s’écria avec un air de défi : « Vas-y, saute ! De toute façon, tu ne manqueras à personne ! » Manon embrassa du regard la salle de classe. Tous les élèves scandaient comme un seul homme : « Saute ! Saute ! Saute ! » On aurait dit qu’il ne s’agissait que d’un banal plongeoir. Seule Valentine l’observait en silence, atterrée.

    Manon esquissa un sourire amer et murmura comme pour elle-même : « Ce n’était que de l’amour, pourtant… » Elle poussa un soupir résigné, puis ferma les yeux et se laissa tomber.


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  • Salut la compagnie !

    Vous m'excuserez le manque d'articles de la semaine, mais Noël étant tombé un mercredi je n'ai pas publié de poème... Ce sera pour le jour du Nouvel An !

    Ce samedi je vous propose la première partie de la nouvelle Toutes blessent, la dernière tue, envoyée à l'occasion d'un concours organisé par l'association Le Refuge (je vous invite à consulter leur site officiel, très instructif). Le thème était "l'impact de l'homophobie sur les adolescents LGBT".Même si je n'ai pour le moment aucune nouvelle de ce concours (je ne sais pas trop à quelle période le comité est censé donner les résultats), c'était agréable d'écrire pour la bonne cause.

    A la semaine prochaine pour la fin de la nouvelle !

    Ryuta_Roy

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