• Toutes blessent, la dernière tue - Première partie

    Salut la compagnie !

    Vous m'excuserez le manque d'articles de la semaine, mais Noël étant tombé un mercredi je n'ai pas publié de poème... Ce sera pour le jour du Nouvel An !

    Ce samedi je vous propose la première partie de la nouvelle Toutes blessent, la dernière tue, envoyée à l'occasion d'un concours organisé par l'association Le Refuge (je vous invite à consulter leur site officiel, très instructif). Le thème était "l'impact de l'homophobie sur les adolescents LGBT".Même si je n'ai pour le moment aucune nouvelle de ce concours (je ne sais pas trop à quelle période le comité est censé donner les résultats), c'était agréable d'écrire pour la bonne cause.

    A la semaine prochaine pour la fin de la nouvelle !

    Ryuta_Roy

    Manon se tordait nerveusement les mains, assise à la table d’interrogatoire. Depuis qu’on l’avait enfermée là, personne n’était encore entré. Plusieurs heures s’étaient apparemment écoulées, mais elle n’en était pas sûre : on lui avait confisqué ses effets personnels, dont sa montre. Peut-être faisait-il déjà nuit ? La puce supra sensorielle implantée sous la peau de son poignet la démangeait et son corps tout entier était tendu comme un arc, en état d’alerte. Pourtant, la jeune fille avait beau scruter la porte, elle ne pouvait repérer aucun mouvement à l’extérieur. Seul le bruit sourd de son cœur battant la chamade parvenait à ses oreilles, et ce rythme saccadé s’accélérait de minute en minute jusqu’à la rendre folle.

    Soudain, le sas de sécurité s’ouvrit avec fracas, laissant apparaître un policier vêtu d’un uniforme gris anthracite. Il avait un visage aux traits tirés et taillé en lame de couteau ; cependant ses yeux noirs brillaient d’une lueur métallique si agressive qu’ils arrachèrent un frisson à la jeune fille. Il s’assit en face d’elle et, poussant un profond soupir, sortit avec un détachement ostentatoire une micro disquette de sa sacoche. Puis il se pencha, les coudes posés sur le bureau transparent, et demanda d’une voix lasse : « Je suppose que vous savez de quoi on vous accuse, mademoiselle ? »

    Manon déglutit péniblement, mais ne répondit rien. Devant son silence obstiné, l’homme chargé de l’interrogatoire eut un rire sans joie : « Oh, pas la peine de faire cette tête surprise. On ne me dupe pas, moi. On ne peut pas duper le département EED du programme Nascentia. » Cette fois-ci, la jeune fille sentit le sang lui monter aux joues. Quelqu’un l’avait dénoncée à l’Epuration des Eléments Dégénérés. Sa situation venait d’empirer d’un cran.

    Avant qu’elle ait eu le temps de se remettre du choc lié à cette inculpation, le policier continua : « Vous n’êtes pas sans savoir que le programme Nascentia œuvre à la préservation de l’humanité. La population de notre pays vieillissant de plus en plus rapidement, nous devons à tout prix maintenir la fécondité de nos éléments féminins à trois, voire quatre enfants, afin de parvenir à un renouvellement des générations. » Il fit une pause dans son discours pour plonger son regard glacial dans les yeux de Manon. Avec un rictus méprisant, il reprit : « En essayant de… séduire un élément de votre sexe, vous vous êtes rendue coupable de traîtrise contre l’espèce humaine. Ce qui, selon le Code du programme Nascentia, est le crime le plus grave qu’un élément puisse commettre après le meurtre. »

    Manon n’avait toujours pas prononcé un seul mot. Elle baissa un peu la tête et tenta de calmer sa respiration. Il ne fallait pas qu’elle craque. Si elle commençait à pleurer, le policier en face d’elle aurait gagné. Mais l’homme balaya ses tentatives de résistance ; il se leva soudain d’un air triomphant et s’exclama en brandissant la micro disquette : « La camarade d’instruction que vous avez tenté d’égarer a heureusement bien retenu la leçon concernant les relations entre éléments de même sexe, contrairement à vous ; sitôt rentrée chez elle, cette demoiselle nous a contactés pour accomplir son devoir. »

    Le cœur de Manon manqua un battement. Ainsi, c’était l’objet de son désir lui-même qui l’avait trahie… Sous la table de verre, elle serra si fort les poings que les jointures de ses phalanges blanchirent et que ses ongles s’enfoncèrent dans les paumes de ses mains. Terrassée par le désespoir, la jeune fille étouffa un sanglot. Sans s’émouvoir davantage de ses larmes, l’enquêteur se rassit et déclara : « Bien sûr, la peine encourue pour cette infraction au Code est, en temps normal, la perpétuité. Mais, dans votre cas, il serait tout à fait incongru de vous condamner au châtiment suprême : cela reviendrait à nous priver d’un élément féminin fécond. D’autant plus que vous êtes jeune – dix-sept ans, d’après ce que votre camarade m’a dit – et que ce fâcheux incident est sans doute lié à une volonté de rébellion vis-à-vis de l’autorité en général, et non du programme Nascentia en particulier. Je peux donc conclure notre affaire en précisant dans mon rapport que vous n’êtes pas un élément dégénéré mais un élément au potentiel subversif élevé, qu’il faudra surveiller de très près et punir sans faute en cas de récidive. Qu’en pensez-vous ? »

    Manon hésita un moment, puis demanda, la voix brisée : « Mes parents sont-ils au courant ? » L’homme éclata d’un rire sinistre : « Ha ! Naturellement. Tout comme le directeur et les professeurs de votre établissement d’instruction. Nous devons agir de concert afin que vous ne recommenciez pas. Pour votre propre bien. » La jeune fille resta silencieuse quelques secondes, faisant mine de peser le pour et le contre alors qu’elle savait le combat déjà perdu, puis hocha imperceptiblement la tête et balbutia, vaincue : « J’accepte votre marché. » En réalité, elle n’avait pas le choix. Le policier exulta avec hypocrisie : « A la bonne heure ! J’aurais détesté réprimander aussi sévèrement un élément fécond comme vous ! » Il l’invita à se lever, puis la soutint jusqu’à la porte ; ses jambes chancelaient comme celles d’une anémique. « Nous allons vous raccompagner chez vous. »


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