• Train Fantôme - Première partie

    Et voilà la nouvelle qui m'a permis de gagner le deuxième prix ex aequo du concours de jeunes auteurs boulonnais 2012, Train Fantôme ! Elle ne sera publiée qu'en deux parties, puisqu'elle ne fait que trois petites pages.

    Je l'ai écrite en une heure, mais j'ai dû en passer trois ou quatre à la remanier... Le premier jet n'est jamais le bon.

    J'espère que ça vous plaira. Enjoy !

     

    Je me rappelle parfaitement l’impression que j’ai eue, la première fois que j’ai emprunté l’interminable escalier en spirale qui mène aux quais de la station de métro Cité, sur la ligne quatre : l’impression d’entrer dans un sous-marin. Pas un sous-marin comme les bathyscaphes exigus et ultrasophistiqués qu’on peut voir dans le film Abysses, non : la station Cité m’évoque plutôt les entrailles d’acier du Nautilus, qu’on aurait malheureusement recouvertes d’immenses affiches publicitaires de mauvais goût.

     

    L’atmosphère de cet endroit est vraiment particulière. Cela est notamment dû aux lampadaires, qui ne ressemblent en rien à ceux des autres stations : en plus de diffuser une lumière verdâtre particulièrement menaçante, ils ressemblent à des sortes d’œufs ronds attachés à des poteaux métalliques. Le soir, quand il n’y a plus personne, on a l’impression d’être une âme solitaire qui attend qu’un dieu de la mort veuille bien l’accompagner jusqu’au royaume des ténèbres.

     

    Un soir, ou plutôt une nuit, puisqu’il est près d’une heure du matin, je décide de prendre le dernier métro à cet endroit lugubre. Ce n’est pas par plaisir, mais mon porte-monnaie vide ne me permet pas de héler un taxi. Je sors d’une soirée arrosée et je dois admettre que j’ai peut-être bu un ou deux verres de trop ; mon esprit commence à être complètement embrumé par l’alcool et j’ai du mal à réfléchir. Pourtant, une fois arrivé en bas des escaliers, je me mets à vociférer : « Le capitaine Nemo vous informe qu’un accident technique s’est produit sur la ligne Nautilus, veuillez nous excuser pour le désagrément ! » Puis je pars d’un rire idiot. Heureusement, il n’y a personne sur le quai.

     

    Mon fou rire passé, je jette un coup d’œil sur le petit panneau électronique censé annoncer le prochain métro : rien. Il est en panne. Je n’ai aucun moyen de savoir quand il arrivera. Dépité, je m’assois lourdement sur une de ces chaises en plastique aux couleurs flashy mises à la disposition des voyageurs. Je commence à promener mon regard d’affiche en affiche pour tromper mon ennui : une publicité pour une exposition au musée du Quai Branly, une autre pour un roman policier… Soudain, je tombe sur la plaque supposée indiquer ‘‘Cité’’ en lettres blanches sur fond bleu. Deux problèmes. D’abord, elle n’est pas bleue, mais rouge, et ensuite, elle arbore l’inscription ‘‘Styx’’.

     

    Je fronce les sourcils, ferme les yeux, rouvre les yeux. La plaque est toujours rouge. Je me malaxe les tempes avec mes index, croyant qu’il s’agit d’une vision due à l’alcool, mais rien n’y fait : la plaque refuse de redevenir bleue. Je marmonne, agacé : « J’hallucine ou quoi… » Oui, ça doit être ça, je nage en pleine hallucination. Je me pince plusieurs fois le bras. Aucun changement. Je commence à avoir peur ; mon cœur bat à coups sourds dans ma poitrine.

     

    Tout à coup, alors que la panique croît comme une plante grimpante dans mon esprit, je vois une silhouette émerger du tunnel d’où arrivent d’habitude les trains. Encore une fois persuadé qu’il ne s’agit que d’une illusion due à mon ivresse, je n’y prête tout d’abord pas attention. Mais au bout d’un moment je suis obligé de me rendre à l’évidence : il y a bel et bien quelqu’un sur les voies. Je constate qu’il s’agit d’un enfant d’une petite douzaine d’années à l’allure étrange, qui porte une sorte de redingote rouge un peu trop grande pour lui. Sur le moment, une pensée ridicule me traverse l’esprit : « On dirait un Monsieur Loyal miniature. » Cependant, deux détails dans son apparence me font frissonner : ses cheveux sont d’un blanc immaculé, comme s’il les avait passés à l’eau de javel. Et ses yeux… rouge sang.

     

    Je sens un long filet de sueur couler le long de mon dos. L’enfant remonte sur le quai, puis s’approche de moi d’un air décidé et déclare d’un ton suffisant : « Je suis le chef de gare ! » Je ne peux plus ignorer l’enfant qui vient de me parler ; s’il s’agit d’une hallucination, elle imite fichtrement bien la réalité. Interloqué, je répète : « Le… chef de gare ? » L’insolite petit bonhomme que j’ai en face de moi ressemble à tout, sauf à ce qu’il prétend être. Pourtant il réplique, visiblement irrité : « Oui, le chef de gare ! Votre billet, s’il vous plaît ! » Sans comprendre, je farfouille dans ma sacoche et tends au ‘‘chef de gare’’ le minuscule ticket blanc, un peu froissé. Cette fois-ci, il se met à crier d’un air exaspéré : « Ah, mais vous le faites exprès ou quoi ? Je vous demande votre billet, pas un vulgaire bout de papier ! »

     

    Je ne comprends plus rien. Voilà qu’il prend mon ticket de métro pour un ‘‘vulgaire bout de papier’’! Je veux protester, mais soudain il saisit mon sac et désigne de sa main gantée : « Regardez, le voilà, votre billet ! » Il sort de la poche extérieure un large ticket rouge et noir, sur lequel figure l’inscription ‘‘Thanatopolis’’ en gros caractères. « Vous voyez, quand on cherche, on trouve ! » s’exclame l’enfant en poinçonnant le billet, manifestement satisfait.

     


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