• La naissance des Gardiens chapitre II - Le Sabre (Deuxième partie)

     

    Plus loin, elle tomba sur la vitrine d’un magasin de vêtements qui lui renvoya son reflet. Il n’était certes pas aussi limpide et précis que celui d’un miroir, mais cela suffit à la jeune fille pour voir son visage. Ses cheveux le lui cachaient en partie ; cependant Rachel s’aperçut que la lueur irréelle de ses pupilles était bien visible malgré l’obscurité. Leur couleur inimitable lui avait permis de se rapprocher d’Hugo de manière… plutôt intime. Cela n’était pas étonnant : ses yeux à l’éclat bleu électrique avaient toujours suscité l’admiration et fasciné ses interlocuteurs.

     

    Cette soudaine confrontation avec elle-même lui rappelait dans quelles circonstances elle avait rencontré Hugo et ses compagnons de squat, un mois et demi plus tôt. Rachel ne s’était jamais vraiment entendue avec ses parents, car elle avait une mentalité d’artiste alors qu’eux étaient des cadres dont le but premier était de gagner de l’argent. Quand elle avait eu dix-sept ans, elle avait entrepris sur un coup de tête de se teindre une mèche de cheveux de la même couleur que ses yeux, ce qui lui avait valu une désapprobation sévère de la part de ses géniteurs. Plus tard, son refus d’entrer dans une école de commerce avait achevé de semer la discorde entre eux. Après de longs mois de reproches à peine dissimulés et de violentes disputes, Rachel avait décidé de fuguer, mais la dureté de la rue l’avait vite rattrapée. Au bout de deux semaines passées dans le froid, sans presque rien à manger, Rachel était sur le point d’abandonner son combat et de retourner chez ses parents, vaincue. Jusqu’au jour où elle avait rencontré Hugo.

     

    Rachel secoua la tête comme pour effacer la vision de son esprit. Certes, il ne s’agissait pas d’un mauvais souvenir, loin de là, mais il lui rappelait sa douloureuse situation. Sentant les larmes lui monter aux yeux, Rachel reprit sa route. Elle dépassa plusieurs couples ; ils avaient tous l’air heureux et serein. La jeune fille bifurqua dans une petite ruelle pour s’épargner cette vue mais il était trop tard : elle se remettait à pleurer. Elle poussa un juron en se frottant les yeux avec rage.

     

    Rachel s’éloignait de plus en plus du squat. Bientôt elle n’entendit plus rien des bruits environnants ; tout était redevenu plus calme. Elle savait qu’Hugo n’allait pas tarder à partir à sa recherche et elle ne voulait pas qu’il la voit ainsi, frigorifiée et à moitié en larmes. Il fallait qu’elle se calme, puis qu’elle rentre comme si tout allait bien. Ensuite elle se joindrait à ses compagnons en essayant de ne pas penser à ce qui la tourmentait. La jeune fille soupira et esquissa un sourire forcé. Elle fit comme si elle s’adressait à un Hugo invisible et articula : « Ce n’est rien, j’avais juste besoin de prendre l’air. » Mais la déclaration sonnait faux : elle avait encore des sanglots dans la voix. Rachel jura de nouveau et commença à rebrousser chemin, se disant que cela serait plus crédible encore si elle lui parlait face à face.

     

    Soudain, les lampadaires de la rue où elle se trouvait se mirent à clignoter de manière arythmique, tels des cœurs de lumière palpitant dans l’obscurité. Rachel sentit la peur lui contracter l’estomac et elle accéléra le pas. Ce n’était rien pourtant, sans doute un problème avec les ampoules… La lumière tamisée continua d’éclairer le trottoir pendant un instant, puis s’éteignit complètement, laissant la jeune fille dans le noir le plus total ; la nuit était tombée depuis de longues heures déjà et la lune n’illuminait le ciel que très faiblement. Rachel fut pris de panique et commença à courir pour rejoindre une avenue plus animée et surtout moins sombre. Cette phobie du noir lui venait de son enfance ; bien sûr cela allait mieux aujourd’hui, mais elle éprouvait toujours un malaise lorsqu’elle se retrouvait plongée dans l’obscurité.

     

    Brusquement, une énorme boule blanche, irradiant comme un soleil miniature, apparut à un mètre au-dessus du sol juste en face d’elle. On aurait dit un spectre insolite sorti tout droit des enfers. Rachel hurla de surprise et de terreur ; elle perdit l’équilibre et s’effondra sur l’asphalte enneigé. L’étrange sphère se rapprochait irrémédiablement d’elle, comme si elle cherchait à la rencontrer. La jeune fille, elle, tentait de reculer, ignorant la morsure du verglas sur ses paumes et les écorchures sur ses genoux ; elle était terrorisée et aurait voulu s’enfuir le plus loin possible. Le globe lumineux, semblant s’être aperçu de son effroi, s’arrêta quelques secondes, puis s’approcha de nouveau. Rachel se rendit compte qu’elle ne pouvait plus bouger ; elle ignorait pourquoi, elle se sentait paralysée par une force qui la dépassait, et de loin. Elle voulut appeler à l’aide, mais sa voix resta coincée dans sa gorge. Finalement, la boule blanche lui toucha le front en murmurant un borborygme aussi mélodieux qu’incompréhensible. Atteignant le paroxysme de la panique, Rachel s’évanouit.

     

    *

     

    *   *

     

    La première chose qu’elle vit lorsqu’elle se réveilla fut la fresque bleue au plafond, celle-là même qu’elle avait réalisée quand elle était arrivée au squat. Rachel en déduisit qu’elle était de retour au local souterrain où elle avait élu domicile. Mais comment avait-elle fait pour revenir ? Elle ne se souvenait de rien… Soudain un souvenir émergea de son esprit encore obscurci par le sommeil : une sphère blanche s’approchant d’elle dans une ruelle déserte… Ah, ça, ce n’était qu’un rêve, un cauchemar… Rien de bien important… A peine eut-elle pensé cela qu’une vive douleur lui enserra la tête. Elle voulut esquisser un mouvement mais elle était comme engourdie et elle ne put même pas bouger le petit doigt, ce qui l’énerva grandement.

      

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    La suite le samedi 20 octobre !

     


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