• La naissance des Gardiens chapitre III - Les Yeux (Troisième partie)

     

    Il était tellement angoissé qu’il se tordait les mains d’appréhension. Même s’il avait fermement annoncé à Thibaut qu’il arrêtait le basket, Maxime savait qu’au fond de lui-même il ne s’en remettrait jamais s’il abandonnait sa passion. De nouveau il sentit les larmes lui monter aux yeux, mais au dernier moment il les empêcha de couler tout de suite car quelqu’un dans la rue arrivait de la direction opposée. Il baissa la tête pour ne pas montrer à quel point son visage était marqué par l’angoisse, mais il ne put s’empêcher d’observer du coin de l’œil la passante pendant qu’il la dépassait. C’était une jeune fille sublime, avec des yeux d’un bleu cobalt extraordinaire et une mèche de cheveux teintée de la même couleur. Elle portait un étrange sac à dos tout en longueur qui semblait plutôt léger ; peut-être s’agissait-il d’un instrument de musique, comme une flûte ou une clarinette…

     

    Soudain, quand bien même le jeune homme avait la tête baissée, leurs regards se croisèrent. Maxime voulut détourner les yeux, mais la passante le dévisageait avec une telle intensité que cela lui fut impossible. Une sorte de courant électrique passa entre eux durant cet instant, quelque chose que Maxime n’avait jamais ressenti auparavant. Finalement la jeune fille se détourna et continua son chemin, tandis que Maxime s’arrêtait quelques secondes, ébranlé par cette étrange rencontre. Il se remit à marcher mais il n’était plus dans son état normal : il avait l’impression qu’un joueur de tambour s’amusait à frapper des cymbales contre les parois de son crâne et il était pris de nausées.

     

    Quand il arriva enfin sur le seuil de son appartement, il ne s’était jamais senti aussi mal. Sa mère, furibonde, vint lui ouvrir en hurlant : « Mais où étais-tu donc passé ? Tu avais promis de rentrer dès la fin du match, mais je t’attends depuis trois quarts d’heure, maintenant ! Ah, vivement que tu arrêtes ces idioties, je commence à en avoir vraiment plus qu’assez ! » Maxime, malgré sa migraine, fut piqué au vif par ces paroles et rétorqua : « Même si tu n’apprécies pas ces ‘idioties’, comme tu dis, tu pourrais au moins t’intéresser à ce que ton fils fait ! Tu ne me demandes même pas si j’ai gagné le match… Eh bien pour ton information oui, et j’ai encore la finale à disputer demain ! »

     

    A peine eut-il terminé sa phrase que sa génitrice le gifla violemment. « Depuis quand tu me parles sur ce ton ? Ce doit être cet énergumène de coach que tu adules comme un imbécile qui te montre le mauvais exemple ! » Le jeune homme, choqué qu’elle aille jusqu’à insulter Thibaut, voulut répliquer, mais ses jambes le lâchèrent soudain et il perdit connaissance si brutalement que même sa mère sursauta de surprise.

     

    Quand il se réveilla, Maxime se trouvait dans son lit, seul dans sa minuscule chambre. Il avait encore très mal à la tête, mais il se rendit compte que plusieurs heures s’étaient écoulées depuis qu’il s’était évanoui : il était plus de dix-neuf heures. Le jeune homme constata que son estomac criait famine, mais il n’osa pas tout de suite se lever de peur de perdre conscience à nouveau. Pourtant, il allait bien falloir qu’il se restaure… Il attendit encore quelques minutes, puis se décida à quitter son lit ; mais ses jambes le trahirent aussitôt et il s’écroula sur le parquet dans un bruit sourd.

     

    Maxime gémit de douleur en sentant un os craquer et espéra qu’il n’avait rien de fêlé. Sa mère accourut et, le voyant étendu en travers de la chambre, s’écria : « Mon Dieu, mais pourquoi t’es-tu levé ? Tu vois bien que tu es encore souffrant ! » Tandis qu’elle l’aidait à se rallonger, le jeune homme parvint à articuler d’une voix rauque : « Est-ce que tu pourrais m’apporter à manger, s’il te plaît ? Je meurs de faim. »

     

    Sa mère pencha la tête de côté comme un oiseau et répondit avec une pointe d’hésitation : « Je ne sais pas si c’est une bonne idée… Je dis ça parce que tu as repris connaissance quelques minutes après t’être évanoui et tu as vomi tout ce qui te restait dans le ventre ! Tu es retombé dans les vapes quelques secondes plus tard. Est-ce que tu as encore des nausées ? » Maxime lui assura qu’elles n’avaient rien à voir avec tout à l’heure ; sa mère accepta donc de lui apporter quelque chose pour calmer sa faim.

     

    Le jeune homme se réjouit de pouvoir manger, mais quand il se retrouva face à la nourriture, il sentit un haut-le-cœur horrible lui soulever la poitrine. Il choisit de l’ignorer, car il s’agissait de ses petits gâteaux préférés ; il en fourra un dans sa bouche et le mordit à pleines dents. Mais au lieu de sentir le doux goût sucré de la pâtisserie, il eut l’impression de manger un rat mort. Il en eut les larmes aux yeux tellement c’était mauvais et recracha involontairement la bouchée qu’il était en train d’avaler ; quant à celle qui était déjà loin dans son œsophage, il la vomit violemment. Sa mère poussa un hurlement tandis qu’il régurgitait ; son regard trahissait son horreur et son incompréhension. Quand il en eut fini, Maxime sombra brutalement dans l’inconscience.

     

    Le jeune homme passa les heures suivantes dans une sorte de sommeil agité de cauchemars terrifiants ; son demi-coma était peuplé de monstres couverts d’écailles et de rires machiavéliques qui semblaient sortis tout droit d’un film d’horreur. Quand il émergeait, il restait plongé dans une abominable hallucination : les murs fondaient comme s’ils étaient aspergés d’acide et la chambre avait l’apparence d’un cachot grouillant de cafards, rampant dans les moindres recoins. Pour couronner le tout, une effroyable odeur de chair brûlée envahissait l’air.

     

    Son délire dura seulement une petite quinzaine d’heures, mais quand Maxime réussit à s’échapper de ses visions, il eut l’impression qu’il avait passé une éternité en enfer. Le jeune homme se rendit compte qu’il était en sueur et encore plus affamé qu’avant ; il parvint à se lever au prix d’un effort extrême. Sa mère semblait avoir choisi de le laisser dormir sans vraiment se soucier de lui, car en se dirigeant vers la salle de bains il entendit des bruits de casserole dans la cuisine. Maxime eut une pensée désagréable pour elle : bien qu’elle fût sa génitrice, elle ne semblait pas plus que ça s’être inquiétée de son état ! Elle aurait pu au moins appeler un médecin ! Il soupira, dépité, puis jeta un coup d’œil à l’horloge au-dessus du lavabo. Neuf heures trente-trois.

     

    L’information mit un peu de temps à parvenir à son cerveau, mais soudain il se rendit à l’évidence : la finale contre les Requins sanglants allait commencer dans moins d’une demi-heure ! Maxime resta tétanisé quelques secondes, à la fois indécis et paniqué : lui qui avait promis à Thibaut qu’il ne lâcherait pas son équipe pour la finale, le voilà qui était mal parti pour tenir sa promesse ! Mais peut-être valait-il mieux qu’il s’abstienne… C’était complètement insensé de vouloir jouer alors qu’il mourait de faim et qu’il avait à peine dormi ! Il n’était pas en état de faire quoi que ce soit. Pourtant il prit sa décision quasi instantanément : c’était sans doute le dernier match de basket qu’il disputerait avant de quitter le lycée, il ne pouvait pas laisser tomber son équipe comme ça !

     

    Il fonça dans sa chambre et fourra dans un sac son immense T-shirt de basket, celui-là même qu’il portait depuis ses débuts dans les Loups bleus – il ne l’avait jamais remplacé. La sacoche sur l’épaule, Maxime passa en trombe dans la cuisine pour prendre une bouteille d’eau, sous les yeux de sa mère effarée, qui s’exclama : « Eh, tu vas où comme ça ? Je croyais que tu devais te reposer ! » Le jeune homme répliqua sans même la regarder : « Je vais à la finale de la Coupe inter-établissement. » Sa mère tenta de le rattraper, mais il était déjà parti.

     

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    Suite et fin le samedi 8 décembre !


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