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    Alors qu’elle pestait intérieurement, elle vit Hugo faire irruption dans la pièce, l’air très anxieux. Il se jeta presque à son chevet et la prit dans ses bras avec force. Il posa sa tête contre son épaule et soupira : « Oh mon Dieu, Rachel… J’ai eu si peur… Tu avais l’air si pâle quand tu es revenue, on aurait dit un fantôme… Tu n’aurais pas dû sortir avec des vêtements aussi légers, c’était évident que tu allais attraper la mort ! » Rachel s’aperçut qu’il avait la voix rauque comme s’il venait de pleurer et se sentit honteuse de lui avoir fait du souci, bien que le jeune homme fût en tort lui aussi. Pourtant, un détail la turlupinait : elle ne se rappelait pas la moindre chose depuis la boule blanche et brillante, alors que ce n’était qu’une hallucination. Elle était presque sûre qu’elle n’avait pas pu rentrer seule dans cet état. Et pourtant…

     

    Tandis qu’elle livrait un combat intérieur pour raviver ses souvenirs, Hugo murmura : « J’ai compris pourquoi tu me rejetais depuis quelque temps. Tu m’as vu avec Sixtine, n’est-ce pas ? » A ces mots, le cœur de Rachel fit un bond. Comment avait-il découvert que… ? Hugo reprit, la tête basse : « Je… suis désolé. Il s’agit d’un malentendu. Je ne l’ai jamais aimée, mais apparemment c’était son cas.  Elle m’a embrassé de force et a voulu aller plus loin, mais je l’ai repoussée. Elle semble ne pas avoir encore digéré mon refus… »

     

    Pendant qu’Hugo déballait ses arguments, Rachel sentit monter en elle un soulagement mêlé d’incrédulité. Un silence pesant s’installa entre les deux jeunes gens. Finalement Rachel articula doucement : « Merci pour ton honnêteté. Je… j’avais peur de t’avoir perdu et je suis désolée de ne pas… » Hugo la serra violemment dans ses bras jusqu’à lui faire mal et s’exclama, une pointe de colère dans la voix : « Imbécile ! Je suis le seul coupable ; tu n’as pas à t’excuser. » Puis il l’embrassa tendrement et ajouta : « A partir de maintenant, tout ira mieux. Promets-moi simplement de ne plus jamais me faire un coup pareil, j’ai vraiment eu peur. » Les larmes aux yeux, Rachel répondit avec un sourire apaisé : « Oui, d’accord… »

     

    Ils étaient enlacés depuis plusieurs minutes lorsque tout à coup une Voix résonna dans la tête de Rachel : « Bon… S’il pouvait partir ce serait bien. Nous devons parler. » Cette Voix avait un timbre très chantant, presque hypnotique ; à la connaissance de la jeune fille, aucun humain n’aurait pu émettre des sons aussi beaux. C’était un bruit si doux et si mélodieux qu’elle n’eut pas tout de suite conscience qu’il s’agissait d’une Voix. Cela aurait tout aussi bien pu être un souvenir, l’air d’une chanson de son enfance… D’autant plus qu’Hugo ne l’avait apparemment pas entendue.

     

    Lorsque la Voix répéta, agacée : « Alors ? Tu le fais partir oui ou non ? » Rachel eut un accès de frayeur. Il y avait bel et bien quelqu’un qui parlait dans sa tête ! Malgré sa peur, elle décida de cacher sa découverte à son amant, qui la prendrait sans doute pour une folle, et accéda à la demande de la Voix. Elle murmura à l’oreille d’Hugo en espérant qu’il goberait le mensonge : « Je suis désolée, mais je suis encore très fatiguée. J’ai besoin d’être un peu seule… » A son grand soulagement, le jeune homme acquiesça doucement : « Pas de problème. Je t’apporterai ton cadeau quand tu te sentiras mieux. » Il l’embrassa dans le cou et sortit du squat. Le local était de nouveau désert ; il n’y avait plus que Rachel… et la Voix.

     

    « Bien… J’ai cru qu’il n’allait jamais sortir, murmura la Voix. Mais c’est oublié, puisqu’à présent nous pouvons enfin discuter. » Rachel fronça les sourcils mais n’osa pas répliquer, car elle ignorait encore tout de la Voix qui s’était installée dans son esprit. Toutefois elle se risqua à demander du ton innocent qu’employaient les jeunes enfants cherchant à résoudre une des nombreuses énigmes des adultes : « Q… Qui êtes-vous ? Et que faites-vous dans… dans ma tête ? » Mais sa voix était devenue plus sarcastique et insistante sur la fin ; elle semblait ne plus pouvoir tolérer aucun évènement susceptible de l’énerver ou de l’angoisser depuis qu’elle avait éclairci le malentendu concernant Hugo et Sixtine.

     

    Pour toute réponse, elle sentit que quelque chose exerçait une pression croissante sur sa gorge, comme si on l’étranglait. Bientôt elle ne put même plus respirer. La Voix attendit que des points noirs se forment dans son champ de vision avant de relâcher l’étreinte. Rachel s’était mise à pleurer ; elle avait eu la peur de sa vie. La Voix déclara, glaciale : « Ici, c’est moi qui parle. Tu as intérêt à te montrer obéissante, sinon je choisis quelqu’un d’autre. Après t’avoir tuée, bien sûr. » A ces mots, Rachel tressaillit. Ce n’était pas des paroles en l’air. Peu importait la nature de cette Voix ; si elle avait le pouvoir de faire de telles choses – contrôler son corps à distance, par exemple – mieux valait rester tranquille et ne rien dire qui puisse la mettre en colère.

     

    « Bien, on dirait que tu t’es calmée… Nous pouvons donc partir ! » La Voix eut un petit rire – enfin, Rachel eut l’impression que c’était un rire. La jeune fille sentit que ses muscles bougeaient tous seuls ; elle se mit debout et commença à enfiler un manteau à demi froissé étendu sur le canapé miteux du squat. Prise de panique, elle s’écria : « Eh, attendez ! Vous ne pouvez pas disposer de mon corps comme il vous semble ! Et vous êtes qui, d’abord ? » La Voix marqua une pause avant de répondre : « Je suis Sigma. Tu n’as pas besoin d’en savoir plus pour le moment. » Rachel dut continuer à s’habiller.

     

    Rachel était en proie à une agitation intérieure qu’elle n’avait jamais connue auparavant. Elle ne pouvait rien faire pour empêcher son corps de bouger car Sigma semblait avoir un contrôle parfait sur ses muscles ; de plus, si elle s’opposait trop brutalement à lui comme tout à l’heure, elle finirait par se faire tuer – la Voix avait été on ne peut plus claire et convaincante sur ce plan-là. Pourtant, elle ne pouvait le laisser utiliser son corps ainsi… Rachel s’exclama précipitamment : « Où est-ce que vous m’emmenez ? Je ne peux pas partir, je… » Elle ne voulait pas quitter Hugo alors qu’elle venait de se réconcilier avec lui ! Sigma ne répondit pas : il semblait se concentrer sur le contrôle de ses mouvements. Rachel ouvrit la porte du squat et sortit ; le froid était un peu plus supportable car elle avait à présent un manteau d’hiver sur les épaules. Mais alors qu’elle s’avançait sur le trottoir couvert de neige, la jeune fille tomba nez à nez avec Hugo, en train de fumer une cigarette.

      

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    Suite et fin samedi 27 octobre ! =)

     


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  •  Complainte d’un cœur esseulé

      

    L’insoutenable souffrance grandit dans mes entrailles

     Comme une plante grimpante qui attaque le mur de pierre.

     Mon cœur douloureux est un océan de paille

     Enflammée et je me noie dans mes larmes amères.

      

    Epuisée, mon âme éplorée hurle en silence,

     Incapable de parler, ou même de raisonner

     Parfois, je me prends à penser que la dure lance

     De l’oubli me serait bien plus douce et sucrée…

     

     Depuis que ma moitié s’en est allée au loin,

     Mon cœur palpite moins fort que celui d’une statue

     Dévorée par le lierre et laissée dans un coin.

     

    Même si elle est bondée et joyeuse, la rue

     Où je vagabonde me semble si monotone et vide

     Il m’est pénible de supporter cette vie morbide.

     


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    Critique de... Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire

     

    Résumé : Alors que tous dans la maison de retraite s'apprêtent à célébrer dignement son centième anniversaire, Allan Karlsson, qui déteste ce genre de pince-fesses, décide de fuguer. Chaussé de ses plus belles charentaises, il saute par la fenêtre de sa chambre et prend ses jambes à son cou. Débutent alors une improbable cavale à travers la Suède et un voyage décoiffant au cœur de l'histoire du XXe siècle ...

     Car méfiez-vous des apparences ! Derrière ce frêle vieillard en pantoufles se cache un artificier de génie qui a eu la bonne idée de naître au début d'un siècle sanguinaire. Grâce à son talent pour les explosifs, Allan Karlsson, individu lambda, apolitique et inculte, s'est ainsi retrouvé mêlé à presque cent ans d'événements majeurs aux côtés des grands de ce monde, de Franco à Staline en passant par Truman et Mao...

     

    Mon avis : Rien qu'à la lecture de la quatrième de couverture, je savais que ce roman serait un coup de cœur. Et je ne me suis pas trompée : j'ai vraiment a-do-ré ! Tout d'abord, parce que le personnage principal, Allan Karlsson, est un centenaire (enfin un protagoniste qui n'est pas un adolescent ! ça fait plaisir) dont la vie a été pour le moins... mouvementée. Ensuite pour la joyeuse bande qui l'accompagne au fil du récit : les personnages sont tous aussi drôles les uns que les autres. Et enfin pour les péripéties, loufoques et déjantées à souhait. Une fabuleuse découverte que ce roman suédois, je le conseille à tous sans exception !

     


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    Plus loin, elle tomba sur la vitrine d’un magasin de vêtements qui lui renvoya son reflet. Il n’était certes pas aussi limpide et précis que celui d’un miroir, mais cela suffit à la jeune fille pour voir son visage. Ses cheveux le lui cachaient en partie ; cependant Rachel s’aperçut que la lueur irréelle de ses pupilles était bien visible malgré l’obscurité. Leur couleur inimitable lui avait permis de se rapprocher d’Hugo de manière… plutôt intime. Cela n’était pas étonnant : ses yeux à l’éclat bleu électrique avaient toujours suscité l’admiration et fasciné ses interlocuteurs.

     

    Cette soudaine confrontation avec elle-même lui rappelait dans quelles circonstances elle avait rencontré Hugo et ses compagnons de squat, un mois et demi plus tôt. Rachel ne s’était jamais vraiment entendue avec ses parents, car elle avait une mentalité d’artiste alors qu’eux étaient des cadres dont le but premier était de gagner de l’argent. Quand elle avait eu dix-sept ans, elle avait entrepris sur un coup de tête de se teindre une mèche de cheveux de la même couleur que ses yeux, ce qui lui avait valu une désapprobation sévère de la part de ses géniteurs. Plus tard, son refus d’entrer dans une école de commerce avait achevé de semer la discorde entre eux. Après de longs mois de reproches à peine dissimulés et de violentes disputes, Rachel avait décidé de fuguer, mais la dureté de la rue l’avait vite rattrapée. Au bout de deux semaines passées dans le froid, sans presque rien à manger, Rachel était sur le point d’abandonner son combat et de retourner chez ses parents, vaincue. Jusqu’au jour où elle avait rencontré Hugo.

     

    Rachel secoua la tête comme pour effacer la vision de son esprit. Certes, il ne s’agissait pas d’un mauvais souvenir, loin de là, mais il lui rappelait sa douloureuse situation. Sentant les larmes lui monter aux yeux, Rachel reprit sa route. Elle dépassa plusieurs couples ; ils avaient tous l’air heureux et serein. La jeune fille bifurqua dans une petite ruelle pour s’épargner cette vue mais il était trop tard : elle se remettait à pleurer. Elle poussa un juron en se frottant les yeux avec rage.

     

    Rachel s’éloignait de plus en plus du squat. Bientôt elle n’entendit plus rien des bruits environnants ; tout était redevenu plus calme. Elle savait qu’Hugo n’allait pas tarder à partir à sa recherche et elle ne voulait pas qu’il la voit ainsi, frigorifiée et à moitié en larmes. Il fallait qu’elle se calme, puis qu’elle rentre comme si tout allait bien. Ensuite elle se joindrait à ses compagnons en essayant de ne pas penser à ce qui la tourmentait. La jeune fille soupira et esquissa un sourire forcé. Elle fit comme si elle s’adressait à un Hugo invisible et articula : « Ce n’est rien, j’avais juste besoin de prendre l’air. » Mais la déclaration sonnait faux : elle avait encore des sanglots dans la voix. Rachel jura de nouveau et commença à rebrousser chemin, se disant que cela serait plus crédible encore si elle lui parlait face à face.

     

    Soudain, les lampadaires de la rue où elle se trouvait se mirent à clignoter de manière arythmique, tels des cœurs de lumière palpitant dans l’obscurité. Rachel sentit la peur lui contracter l’estomac et elle accéléra le pas. Ce n’était rien pourtant, sans doute un problème avec les ampoules… La lumière tamisée continua d’éclairer le trottoir pendant un instant, puis s’éteignit complètement, laissant la jeune fille dans le noir le plus total ; la nuit était tombée depuis de longues heures déjà et la lune n’illuminait le ciel que très faiblement. Rachel fut pris de panique et commença à courir pour rejoindre une avenue plus animée et surtout moins sombre. Cette phobie du noir lui venait de son enfance ; bien sûr cela allait mieux aujourd’hui, mais elle éprouvait toujours un malaise lorsqu’elle se retrouvait plongée dans l’obscurité.

     

    Brusquement, une énorme boule blanche, irradiant comme un soleil miniature, apparut à un mètre au-dessus du sol juste en face d’elle. On aurait dit un spectre insolite sorti tout droit des enfers. Rachel hurla de surprise et de terreur ; elle perdit l’équilibre et s’effondra sur l’asphalte enneigé. L’étrange sphère se rapprochait irrémédiablement d’elle, comme si elle cherchait à la rencontrer. La jeune fille, elle, tentait de reculer, ignorant la morsure du verglas sur ses paumes et les écorchures sur ses genoux ; elle était terrorisée et aurait voulu s’enfuir le plus loin possible. Le globe lumineux, semblant s’être aperçu de son effroi, s’arrêta quelques secondes, puis s’approcha de nouveau. Rachel se rendit compte qu’elle ne pouvait plus bouger ; elle ignorait pourquoi, elle se sentait paralysée par une force qui la dépassait, et de loin. Elle voulut appeler à l’aide, mais sa voix resta coincée dans sa gorge. Finalement, la boule blanche lui toucha le front en murmurant un borborygme aussi mélodieux qu’incompréhensible. Atteignant le paroxysme de la panique, Rachel s’évanouit.

     

    *

     

    *   *

     

    La première chose qu’elle vit lorsqu’elle se réveilla fut la fresque bleue au plafond, celle-là même qu’elle avait réalisée quand elle était arrivée au squat. Rachel en déduisit qu’elle était de retour au local souterrain où elle avait élu domicile. Mais comment avait-elle fait pour revenir ? Elle ne se souvenait de rien… Soudain un souvenir émergea de son esprit encore obscurci par le sommeil : une sphère blanche s’approchant d’elle dans une ruelle déserte… Ah, ça, ce n’était qu’un rêve, un cauchemar… Rien de bien important… A peine eut-elle pensé cela qu’une vive douleur lui enserra la tête. Elle voulut esquisser un mouvement mais elle était comme engourdie et elle ne put même pas bouger le petit doigt, ce qui l’énerva grandement.

      

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    La suite le samedi 20 octobre !

     


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  •  La mésange

     

    Je suis allongée sur le sol moelleux

     D’une vaste forêt de cristal ;

     Le vent tiède qui caresse mes cheveux

     Transporte des effluves de fleurs d’opale.

     

    Le regard perdu dans les hautes branches,

     Je laisse mes pensées vagabonder.

     On aperçoit à peine le ciel pervenche :

     Mon seul éther est cette scintillante canopée.

     

    Bercée par le silence,

     Je ne pense à rien.

     A quelques mètres de là dansent

     Des papillons aux ailes carmin.

     

    Je me sens si molle, si fatiguée…

     Sur un de mes bras nus et immobiles

     Une mésange charbonnière décide de se poser,

     Cessant pour un instant ses mouvements fébriles.

     

    Ses pupilles curieuses rencontrent les miennes

     Vides, éteintes comme des bougies mortes.

     Qu’à cela ne tienne !

     De mon âme l’étrange oiseau ouvre la porte.

     

    Dans mon esprit, j’entends ses petites pattes affairées.

     Elles font moins de bruit qu’un murmure

     Mais c’est aussi désagréable qu’un voyeur indiscret

     Qui regarde des jolies filles par le trou de la serrure.

     

    Troublée, j’essaie de la faire partir

     Mais c’est trop tard maintenant.

     Ses petits yeux couleur saphir

     Brillent d’un éclat malveillant.

     

    Mes forces peu à peu m’abandonnent.

     Le funeste oiseau me picore de l’intérieur

     Comme un marteau qui marmonne ;

     Du coin de l’œil il m’observe d’un air rieur.

     

    Dans un dernier sursaut

     Je me dis : « C’était pas malin

     De se faire berner par un oiseau…

     A moins que ce n’en soit pas un. »

     

    De l’extérieur on dirait une fille endormie

     En proie à un cauchemar sordide.

     Mais en réalité elle est déjà partie

     Ce n’est plus qu’une coquille vide.

     


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