• Elle adressa un sourire aussi mielleux qu’hypocrite à Zaphrön, puis ajouta : « Comme vous le savez tous, c’est la vente de la mine de deutérium appartenant à Lord Zårko qui est à l’ordre du jour. » Elle se tourna vers l’intéressé, un homme d’âge mûr aux yeux d’un bleu étincelant et aux cheveux poivre et sel : « Il va sans dire que cette transaction est capitale, aussi bien pour vous que pour nous. Bien sûr, les trajets entre la Terre et Mars seront sur notre addition et au final, il n’y aura aucun licenciement, les ouvriers changeront simplement d’employeur. » Lord Zårko leva les yeux vers Azăhar Miller et répliqua : « C’est bien le problème ! Vous oubliez que les mineurs des Cités-taupe voisines préféreraient mourir plutôt que de travailler pour vous ! Il va falloir engager des Terriens si vous voulez votre deutérium ! »

    Lord Zårko n’était pas particulièrement anti-Terriens, mais il avait bien compris que la vente de la mine serait plus compliquée que prévue ; Zaphrön fut même impressionné par son agressivité vis-à-vis de la représentante du Ministère aux Affaires Martiennes. Celle-ci plongea son regard dans le sien et articula : « Les Cités-taupe concernées travailleront pour nous, ça je vous le garantis. Vous oubliez une chose, vous aussi : nous sommes de la planète-mère, et vous de simples colons sous notre commandement. Vous n’avez pas votre mot à dire. S’il est nécessaire d’éliminer une centaine ou même un millier d’Aréens pour vous décider, alors nous le ferons. »

    Ecrasé par l’aura meurtrière d’Azăhar Miller, Lord Zårko se ratatina sur sa chaise. La représentante du Ministère aux Affaires Martiennes eut un sourire satisfait et fit apparaître un fichier dans le champ de vision virtuel de tous les Lords. « Par la présente, vous approuvez que soixante-dix pour cent de la production de deutérium de cette mine reviendra à la Terre. Il ne vous reste plus qu’à la signer de votre empreinte digitale, et l’affaire sera réglée. » Lord Zårko fixa le document quelques secondes, le regard vide de toute expression. Finalement, résigné, il soupira d’un air vaincu et leva la main pour apposer son empreinte digitale sur le contrat. Mais au même moment, le sas de la grande salle s’ouvrit avec fracas, laissant apparaître une splendide jeune fille.

    Lorsqu’il la vit, Zaphrön eut le souffle coupé par sa beauté ensorcelante : il émanait d’elle une sorte de charme glacé qui le fit frissonner jusqu’au plus profond de son être. Son visage aux traits raffinés était éclairé par des yeux noir de jais semblables à deux blocs d’obsidienne. Ses cheveux coupés au carré avaient la couleur sombre du sang et scintillaient comme s’ils étaient incrustés de rubis. Son long manteau couvrait une partie de son cou et soulignait les formes délicates de son corps d’adolescente. Mais quand Zaphrön posa les yeux sur son impressionnant couvre-chef en forme de sphère blanche  bordée de noir, son cœur manqua un battement : cette forme, ces couleurs… Ce n’était pas possible. Il ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui de Jøshlan Azabachë, disparu un an plus tôt !

    Cette entrée fracassante avait tétanisé tous les membres de l’assistance, qui eux aussi avaient reconnu les couleurs de la famille Azabachë. Même Azăhar Miller, pourtant réputée pour être inébranlable, dévisageait la nouvelle arrivante avec incrédulité. Celle-ci les observait aussi, semblant chercher quelqu’un. Malgré sa peur, Zaphrön décida de briser le silence et se leva pour prendre la parole et saluer la jeune fille : « Bienvenue au Palais d’Ocre, mademoiselle… ? » Il espérait une réponse à cette question qui le taraudait depuis l’instant même où leurs regards s’étaient croisés : avait-elle un lien avec Jøshlan ? La jeune fille le regarda longuement, puis répondit par une autre interrogation : « Êtes-vous Lord Zaphrön Uxhár Highsilver ? »

    Le jeune homme fronça les sourcils, surpris qu’on l’appelle par son nom complet. Comment pouvait-elle être au courant de son deuxième prénom, qui n’était connu que de quelques rares personnes ? Néanmoins il acquiesça : « Oui, c’est bien moi. A qui ai-je l’honneur ? » A présent, il mourait d’envie de connaître l’identité de son interlocutrice ; celle-ci était peut-être le deus ex machina qui lui permettrait de relancer la Révolution de Rouille, si jamais elle avait eu des liens avec Jøshlan ! La jeune fille hocha imperceptiblement la tête ; tout à coup elle fondit sur Zaphrön comme un oiseau de chasse sur une proie. A peine une fraction de seconde plus tard, Lord Highsilver se retrouva immobilisé, un couteau acéré menaçant sa gorge.

    Pétrifié, il entendit son agresseur placée derrière lui déclarer à l’assemblée : « Je vous l’emprunte, je ne serai pas longue. » Zaphrön fut surpris de ne pas sentir son souffle contre sa nuque, mais n’eut pas le temps de s’interroger davantage : elle le poussa de manière à le faire traverser le sas de la salle du Conseil. Juste avant de sortir, elle adressa un regard menaçant à l’assistance et ajouta : « Si vous tentez quoi que ce soit, je l’abats. » Azăhar Miller, qui pour une fois paraissait terrorisée, hocha convulsivement la tête.

    Les deux jeunes gens se mirent à courir à travers les gigantesques couloirs heureusement déserts. Zaphrön était impressionné par la vélocité et le sens de l’orientation de la jeune terroriste, qui semblait connaître les moindres recoins du Palais d’Ocre. Pourtant, seul un nombre extrêmement restreint d’IA avait accès aux plans de cet édifice labyrinthique… Etait-il possible qu’elle ait… piraté une IA pour s’en emparer ? Non, c’était inenvisageable… Soudain, la jeune fille le tira de ses pensées : « Nous sommes arrivés au hangar. Enfilez ça. » Elle désignait un masque à oxygène. Zaphrön acquiesça et le mit sans protester, puis sa ravisseuse pointa du doigt un quad à la forme étrange : « Montez. » Le jeune homme s’installa à l’arrière sans poser de questions, tandis que sa partenaire s’asseyait sur le siège conducteur. Un bref instant plus tard, ils démarraient et sortaient du Palais d’Ocre, s’engageant dans l’immensité du no man’s land orangé. 


    votre commentaire
  • Voici une AMV créée il y a deux ans, pour soutenir les Japonais victimes du tremblement de terre du 11 mars 2011. La musique est sublime... Et les images dures. Un message d'espoir à réitérer encore et encore !...

    Lire la suite...


    votre commentaire
  • Je me réveille en sursaut, échappant à un songe sordide,

    Adossée à une montagne, au beau milieu d’une forêt ;

    Une cascade dont les eaux semblent suspendues dans le vide

    Alimentent à côté de moi une source dorée.

     

    La clairière gazouille comme une pierre tombale ;

    C’est un endroit béni par les dieux,

    Où le paisible vent hivernal

    Murmure des chants mélodieux.

     

    Je ne sais pas trop si je suis encore dans un rêve

    Ou si je suis parfaitement réveillée ;

    Afin de découvrir la réalité,

    Je me dirige vers la source à la texture de sève.

     

    Sa surface est comme protégée par une membrane,

    Telle une immense cape de soie diaphane

    Recouvrant ses eaux translucides ;

    Dans les branches des arbres chantent des sylphides…

     

    Pleine de curiosité mais un peu méfiante,

    Je contemple avec béatitude ce paysage de glace ;

    Des bulles de neige gluantes

    Semblent éclater à la surface.

     

    Soudain surgit des profondeurs une sirène.

    Elle a à peu près forme humaine,

    Mais elle a des oreilles d’elfe et des cheveux poisseux ;

    Son visage est terni par des yeux vitreux.

     

    Elle me chuchote d’une voix enchanteresse :

    « Petit être vivant aux talents de poétesse,

    Tu trouveras dans les abysses éternels

    Toute l’inspiration pour assouvir ton appétit spirituel. »

     

    Tel un Ulysse hypnotisé par une étrange créature,

    Je m’immerge dans les eaux somnolentes.

    Je frissonne, le liquide est glacial comme une armure

    D’acier ; la Muse m’encourage, bienveillante.

     

    Mes vêtements me collent à la peau, je suis transie.

    Un horrible engourdissement envahit tout mon être,

    Puis les sensations commencent à disparaître ;

    La Muse m’accompagne comme une amie.

     

    Plus elle m’entraîne, plus je m’enfonce,

    Plus les rimes pénètrent mon esprit,

    Mais l’inspiratrice eau croupie

    Lacère mes poumons comme une branche de ronce.

     

    J’étouffe je n’en peux plus il faut que je ressorte ;

    Je me débats pour me libérer de l’emprise du démon.

    Ça y est, de la surface je distingue enfin la porte,

    L’air pur brûle de nouveau mes poumons.

     

    La morsure de la désillusion déchire mon corps glacé,

    Je m’écroule sur la berge, suffocante et épuisée.

    Je me rends compte que les rimes de mon esprit ont disparu

    Et que la sirène est retournée se cacher dans les algues drues.

     

    Quand je constate que j’ai affronté les pires dangers

    Dans l’unique but d’obtenir ces précieuses rimes

    Et que j’ai échoué, je pousse un cri étranglé

    Puis de l’inconscience je sombre dans l’abîme.


    votre commentaire
  •  

    Lumière sur... Yukio Mishima

     

    Yukio Mishima, de son vrai nom Hiraoka Kimitake, est un auteur japonais né en 1925 et mort en 1970. Son œuvre et sa vie, intimement liées, pourraient tenir en un mot : ambigüité. Tout d’abord vis-à-vis de son homosexualité, qu’il expose clairement dans ses romans comme Confession d’un Masque (1949) ou Les Amours interdites (1953), mais qu’il n’assume pas dans la vie. Ensuite vis-à-vis de sa relation avec la tradition japonaise : Mishima dans un appartement européen et adopte les coutumes occidentales ; cependant, il se sent également proche de la culture nipponne. Enfin, malgré son apparence fragile, voire rachitique, il accorde beaucoup d’importance à la force physique et réussit à obtenir un corps d’athlète. Cela est certainement dû au fait qu’il a regretté toute sa vie d’avoir échappé à une mort héroïque pendant la Seconde Guerre mondiale à cause de la tuberculose qui lui a évité la conscription.

    Son œuvre est marquée par un certain pessimisme : sa fascination pour la mort et la souffrance, son homosexualité et son incapacité à aimer les femmes transparaissent dans la grande majorité de ses romans et de ses pièces de théâtre. Il se suicida par seppuku (éventrement rituel) le jour même où il déposa chez son éditeur la dernière partie du manuscrit de L’ange en décomposition, le quatrième tome de La Mer de la Fertilité, considérée comme son testament littéraire.

    De mon humble point de vue, Yukio Mishima est l’un des plus grands génies du XXème siècle. J’ai lu à l’heure actuelle trois de ses romans (Le Pavillon d’Or, Confession d’un Masque et Les Amours interdites) et à chaque fois je suis subjuguée par son style extrêmement poétique et sa vision du monde, certes tragique. Je ne peux que vous inviter à lire son œuvre magistrale, en espérant que vous aimerez autant que moi.


    votre commentaire